Smenkhkarê, le pharaon fantôme
Amarna, vers 1331 av. J.-C. Dans un des palais de la capitale de l’Égypte, Amarna, au cœur de la Moyenne Égypte, entre la moderne Le Caire et Louxor, le pharaon Akhenaton se meurt. Autour du roi, le premier cercle des intimes se presse sans doute près du lit royal : les trois dernières filles du roi encore en vie dont l’aînée, Merytaton, peut-être le très influent dignitaire et déjà âgé Aÿ (et futur pharaon), et quelques autres hauts fonctionnaires. Si le roi se meurt, la question de sa succession se pose. Qui prendra la couronne de Haute et de Basse Égypte ? Visiblement, tout était arrangé, préparé depuis plusieurs mois. Ce sera la toute nouvelle grande épouse royale d’Akhenaton : sa propre fille, Merytaton.
Article publié dans Toutankhamon Magazine n°45
La succession d’Akhenaton demeure une des grandes énigmes de l’Égypte ancienne bien que depuis plus de 10 ans, les dernières recherches permettent d’y voir un peu plus clair. Dans les livres assez anciens, on indiquait souvent que Toutankhamon succéda directement à son père Akhenaton, parfois on y intercalait un certain Smenkhkarê régnant de un à trois ans. Aujourd’hui, nous savons que cette succession se révèle bien plus compliquée…
Les principaux protagonistes
Akhenaton : roi d’Égypte, initialement, il se nommait Amenhotep IV (Aménophis IV). Il régna 17 ans. Fils d’Amenhotep III et de Tiyi.
Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… : sans doute une femme-roi qui succède à Akhenaton.
Kiya : épouse d’Akhenaton, princesse originaire du royaume du Mitanni (Proche-Orient).
Merytaton : fille aînée d’Akhenaton et de Néfertiti. Grande épouse royale d’Akhenaton peu avant le décès du roi.
Néfertiti : grande épouse royale d’Amenhotep IV - Akhenaton, morte sans doute avant Akhenaton, origine inconnue.
Smenkhkarê : « roi » éphémère d’Amarna, origine inconnue. À distinguer de la femme roi ayant succédé à Akhenaton. Notre roi fantôme.
Toutankhaton - Toutankhamon : roi d’Égypte. Fils d’Akhenaton et de Néfertiti ( ?).
Zananza : prince du roi hittite envoyé en Égypte pour devenir pharaon.
Une succession obscure : un, deux ou trois pharaons ?
De nombreux égyptologues pensaient que Smenkhkarê succéda à Akhenaton, voire fut corégent de ce dernier, et que Toutankhamon accéda aux trônes 2 ou 3 ans après la mort d'Akhenaton. Et c'est là qu'un autre problème survient. Les archéologues avaient l'habitude de mettre sous le nom de Smenkhkarê tout document (texte, cartouche, objets...) portant le nom d' Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… Ce nom composé est connu par de nombreuses variantes dont certaines portent clairement des marques de féminins. Les chercheurs avaient-ils mal lu ? Fallait-il y voir un homme, une femme ? Ou tout simplement remettre en question la succession immédiate d’Akhenaton pour y distinguer une femme-roi ayant pour nom Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… et notre fantomatique Smenkhkarê ? Les travaux menés depuis plus de 10 ans par l'égyptologue français Marc Gabolde permettent d’y voir un peu clair dans cet imbroglio.
Si nous suivons la succession proposée par M. Gabolde, nous aurions donc : une femme-roi portant le nom de Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… et un certain Smenkhkare qui semble s'intercaler dans le règne de la femme-roi qui dure environ 3 ans. Puis, à sa mort (?), le jeune prince Toutankhaton monte sur le trône, pour très rapidement changer de nom, en Toutankhamon.
Est-ce bien une femme ?
Longtemps, les égyptologues attribuèrent tous les cartouches, textes, objets à Smenkhkarê sans remarquer ou vouloir admettre l’existence d’un second roi, non pas masculin, mais féminin. Sans rentrer dans le détail des déterminatifs féminins et masculins, et des différents épithètes, entre Smenkhkarê et Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton…, aujourd’hui, un consensus semble se dégager sur le fait que Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… (possédant toujours les déterminatifs féminins dans les noms royaux) soit belle et bien une femme alors que Smenkhkarê apparaît uniquement avec des déterminatifs masculins.
Outre les différences de transcription des noms en hiéroglyphes, d’autres indices montrent que nous avons affaire à une femme. La tombe de Toutankhamon possédait un trésor incalculable. Une étude attentive du contenu de la tombe du jeune pharaon démontre sans le moindre doute que de nombreux objets furent non pas réalisés pour Toutankhamon mais pour ses prédécesseurs. Si quelques objets portent encore les traces de notre roi fantôme Smenkhkarê, la plupart indique une femme sur les textes soigneusement grattés et des détails anatomiques (visage, poitrine) se différencient nettement d’un homme.
Dans un article paru en 2002, l’égyptologue français Dimitry Laboury (1)analyse ce nouveau visage royal amarnien, qui suit une précédente étude détaillée de Marc Gabolde. Nous connaissions ceux d’Akhenaton et de Toutankhamon. Ce troisième personnage reste donc à identifier. Comme dit plus haut, longtemps, on a assimilé ce personnage à un roi homme : Smenkhkarê. D’ailleurs l’identification avec Smenkhkarê fut toujours délicate car aucune statue de ce « roi » n’est connue explicitement… Mais nous y reviendrons plus loin. Plusieurs masques en plâtre du musée égyptien de Berlin représentant certainement un personnage royal ressemblent plus à une femme qu’à un homme… Et cette femme n’est ni Néfertiti, ni Kiya… Ce visage possède des traits bien particuliers : pas de visage long d’Akhenaton, une forme de mandibule spécifique (différente de Toutankhamon), et un détail important : une bouche avec des commissures (extrémités de la bouche) tombant vers le bas.
Une statue de la tombe de Toutankhamon fournit un indice déterminant, celle d’un roi sur une panthère. Elle présente une poitrine trop généreuse pour y voir un homme. Aujourd’hui, on y reconnaît une femme roi qui précéda Toutankhamon sur le trône, mais après la mort d’Akhenaton. Est-ce là une représentation de notre femme-roi Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… ? C’est probable. D’autres objets de la tombe de Toutankhamon représenteraient cette femme-roi : les bouchons des vases canopes, le deuxième cercueil du jeune roi.
Ces objets combinés, parfois, à des noms royaux ayant des éléments féminins dans les textes prouvent qu’il exista bien une femme-roi ayant régné à la mort d’Akhenaton et avant le règne de Toutankhamon. Reste maintenant à l’identifier. Trois femmes sont candidates : Néfertiti, Kiya et Merytaton, la fille aînée du roi.
L’étrange destin de Néfertiti
Indissociable d’Akhenaton, la grande épouse royale joua un rôle important auprès du roi. Elle devint un quasi-égal sur plusieurs représentations dans les temples d’Aton à Karnak Est. Mère de six filles, il est possible qu’elle soit la mère de Toutankhamon. De ses origines, par contre, nous ne connaissons rien. Elle semble qu’elle soit égyptienne et non étrangère comme on l’a parfois évoqué. Néfertiti fut le nom donné lors de son couronnement et mariage avec Amenhotep IV / Akhenaton vers l’an 3 ou 4 du règne. Nous ne connaissons donc pas son véritable nom. Il se pourrait qu’elle soit originaire de la région d’Akhmin, au nord d’Abydos.
Après l’apogée du règne en l’an 12, avec en particulier l’immense fête des Nations qui voit les peuples du monde apporter cadeaux et présents au couple royal, les événements suivant cette date demeurent confus. En cinq ans, Tiyi et trois princesses meurent. Kiya, une épouse secondaire, disparaît de la documentation sans que l’on sache pourquoi. Et même Néfertiti disparaît des documents d’Amarna en l’an 17 quelques mois avant le décès d’Akhenaton.
Néfertiti meurt-elle avant ou après Akhenaton ? Peut-elle être la femme-roi qui succède à Akhenaton ? Quelques indices peuvent faire penser qu’elle meurt avant le roi. L’un des plus importants est un fragment d’un oushebti (statuette funéraire, serviteur dans l’au-delà) appartenant à Néfertiti et qui la nomme en qualité de grande épouse royale. Si elle fut réellement couronnée pharaon, cette mention sur une statuette funéraire s’explique mal. La statuette aurait obligatoirement mentionné ses titres de roi d’Égypte.
L’absence de tombe connue à Amarna et le fait que Néfertiti utilise le nom Neferneferouaton peuvent faire penser que la grande reine survit à Akhenaton. D’autre part, comme le rappelle Marc Gabolde, Néfertiti n’apparaît plus auprès des princesses survivantes, notamment dans la résidence royale du Marou Aton au sud d’Amarna (monument aujourd’hui détruit). Cette absence peut s’expliquer par la mort de la grande reine et qu’il n’était plus utile de la mentionner (les modifications au Marou Aton interviennent durant la 17eannée du règne d’Akhenaton). D’autre part, dans plusieurs lettres diplomatiques retrouvées à Amarna, Merytaton, appelée Mayati au Proche-Orient, est devenue maîtresse de maison durant la dernière année d’Akhenaton. Et cette Mayati prend une place tellement importante dans ces lettres qu’elle devient clairement le quasi-égal d’Akhenaton. Comme jamais il n’est mentionné deux grandes épouses royales simultanément sous Akhenaton, il est fortement probable que Néfertiti soit décédée lorsque Merytaton, la fille aînée, devient grande épouse royale d’Akhenaton.
Kiya : une épouse secondaire
Le sort de Kiya intéresse le monde égyptologique depuis une trentaine d’année. Pour les uns, il s’agit d’une épouse d’Akhenaton insignifiante, pour d’autres, un personnage central du règne. Fille du roi de Mitanni, nous ne connaissons pas avec certitude son identité. D’autre part, elle n’est jamais représentée dans les tombes et les temples d’Amarna, et encore moins à Karnak dans les temples d’Aton ! Seule la famille royale avait ce privilège. Autre absence, prouvant sa faible importance, elle n’est jamais représentée sur les stèles privées (M. Gabolde). Ne portant jamais le cobra royal, on ne lui connaît que trois monuments dont le plus important était le Marou Aton, au sud d’Amarna. Mais toutes ces constructions furent systématiquement usurpées pour une des princesses royales. Elle disparaît d’Amarna, qu’elle qu’en soit la raison (disgrâce, mort…), avant la mort d’Akhenaton. Il paraît fort douteux qu’elle puisse être notre femme-roi : Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton….
Merytaton : la fille qui devint roi ?
Nous l’avons rapidement évoqué avec la disparition de Néfertiti. Fille aînée d’Akhenaton, la correspondance diplomatique indique très clairement à la fin du règne la rapide ascension de la princesse auprès d’Akhenaton. Elle devient sans doute « grande épouse royale », c’est-à-dire épouse du roi, son père. Cette montée en puissance semble indiquer la disparition de Néfertiti. Donc, à la mort d’Akhenaton, durant sa 17eannée de règne, une femme roi monte sur le trône : Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… Et la meilleure candidate est Merytaton. Elle est à la mort du roi fille aînée du roi, grande épouse royale. Bien qu’âgée d’à peine 13 ans, elle était la plus âgée, Toutankhaton ayant sans doute à peine 5 ans à la mort d’Akhenaton. D’autre part, si nous plaçons à la fin du règne une campagne militaire égyptienne au Proche-Orient, qui se termine en défaite, l’urgence était de placer une personne en âge de gouverner, pas un enfant de 5 ans.
Une demande surprenante venue d’Égypte
Par les archives diplomatiques de l’époque, nous savons qu’une reine égyptienne, plus précisément une veuve, le pharaon étant mort, demande au roi hittite de bien vouloir envoyer en Égypte un de ses fils pour qu’il soit couronné pharaon auprès d’elle. Après des hésitations et au moins deux voyages d’émissaires en Égypte pour vérifier les faits et s’assurer qu’il n’existait pas de descendant pouvant prétendre au trône, le roi hittite décide d’envoyer son fils Zannanza en Égypte… Souvent, cet événement est placé à la mort brutale de Toutankhamon. Cependant, le contexte géopolitique et militaire au Proche-Orient peut parfaitement correspondre à la fin du règne d’Akhenaton.
Car depuis plusieurs années, les possessions et la sphère d’influence de l’Égypte s’effritent. Le puissant royaume d’Amourrou gouverné par le roi Azirou, proclamant son obéissance à Akhenaton est en réalité passé à l’ennemi, dans le camp hittite. Akhenaton aurait alors ordonné une campagne militaire contre la ville rebelle de Qadesh (Syrie). Nous serions là en l’an 17 du règne. Mais l’expédition tourne sans doute au fiasco. Le roi mort ou quasi mort, une position de plus en plus difficile à défendre en Syrie, un empire hittite belliqueux, il fallait réagir. Ce serait alors Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton…, alias Merytaton, qui lance un appel au roi hittite.
Merytaton monte sur le trône et envoie une demande officielle au roi hittite Soupilouliouma. Ce dernier n’aurait pas été convaincu par la demande et hésite à envoyer un de ses fils en Égypte, même pour monter sur le trône. Cette réticence irrite la veuve. Le roi hittite envoie une délégation afin de vérifier la situation à Amarna. Toutankhaton, absent de la capitale, n’est pas cité dans les rapports. Après plusieurs mois de négociations et de nombreux aller-retours, Soupilouliouma consent à envoyer un de ses fils en Égypte, le prince Zannanza. En effet, seul un prince pouvait raisonnablement épouser une fille d’Égypte ! Ce prince pourrait être arrivé dans la vallée du Nil et à Amarna durant la deuxième année de règne de Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton…. Zannanza serait pour certains égyptologues, dont Marc Gabolde, le mystérieux Smenkhkarê. Parallèlement à ce couronnement, Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… disparaît des sources pour laisser place à… Merytaton. Elle est alors « simple » grande épouse royale de Smenkhkarê. Mais son règne étant particulièrement bref, moins d’un an, peut-être à cause de son assassinat, Merytaton disparaît de nouveau des documents amarniens pour laisser la place à Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… qui règne alors une troisième année.
Avant ou après Semenkhkarê, Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… renonce à l’atonisme (culte du dieu Aton, le disque solaire) au profit de l’ancienne religion, même si l’art amarnien demeure dans une forme atténuée. Le rêve religieux d’Akhenaton est donc bel et bien mort avec lui. Ce retour définitif se confirme en l’an 3 de la femme-roi. Thèbes redevient la capitale au détriment d’Akhetaton (2). Amarna reste une capitale éphémère inachevée. Ce retour semble se confirmer dans une inscription dans la tombe de Païry (Thèbes-Ouest, tombe 139) datant sans doute du règne de Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton…Cependant, la femme-roi laisse la nécropole royale intacte à Amarna. Le retour à l’orthodoxie se vérifie aussi par le mobilier funéraire fabriqué pour Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… que Toutankhamon récupère par la suite en tout ou partie…
Le pharaon fantôme : Smenkhkarê
Il est temps d’aborder notre pharaon fantôme : Smenkhkarê. Son unique représentation à Amarna, identifiée et certaine, s'admire dans la tombe de Meryrê II. Elle ne fut jamais terminée et est seulement esquissée à l'encre. Cela prouve une chose : son règne fut très court, quelques mois à peine. Nous ne connaissons de ce roi que la mention d’une année (an 1). Qui était-il ? Voilà la principale interrogation sur ce roi : son identité. De nombreuses hypothèses furent et sont toujours émises : roturier égyptien, haut dignitaire, fils d'Aménhotep III, fils d'Amenhotep IV, obscur enfant de la famille royalE (branche secondaire ?), prince étranger. Avant d'aller plus loin, rappelons que Smenkhkarê n'est pas son vrai nom. Ce nom lui fut donné pour son couronnement. Comme pour Néfertiti, nous ne connaissons donc pas le nom donné à sa naissance par ses parents.
Cinq certitudes sur ce « roi » :
- il fut incontestablement désigné pour être couronné et a régné comme l'atteste ses noms royaux (ce que l'on appelle la titulature royale comportant 5 noms) ;
- qu'il fut ou non réellement couronné, il existe réellement (comme le prouve les sceaux découverts à Amarna) ;
- si règne il y a eu, il fut particulièrement court ;
- il eut pour grande épouse royale Merytaton, la fille aîné d'Akhenaton - Néfertiti ;
- Smenkhkarê est un homme.
Est-ce ce « roi » qui fut inhumé dans la tombe 55 de la vallée des Rois ? Est-ce sa momie ou celle d’Akhenaton qui y fut retrouvée ?
L’impossible conclusion
Nous arrivons à la conclusion de ce dossier. Nous pensons que l’approche de Marc Gabolde mérite d’être pleinement considérée car l’égyptologue remet à plat l’histoire et propose une hypothèse qui a le mérite de se tenir de bout en bout, et surtout de ne pas torturer les textes connus. Espérons que de nouvelles découvertes pourront éclairer cette période obscure.
Et que dire de la momie de la tombe 55 ? Depuis un siècle, personne n’est d’accord. Pis, les premiers chercheurs à avoir identifié ce corps se demandaient si les autorités de Louxor avaient envoyé le bon corps car lors de la découverte, les égyptologues penchèrent pour une femme, alors qu’au Caire, l’examen conclu à un homme. Et malheureusement, le débat sur l’âge de l’individu à sa mort reste ouvert (de 20 à 35 ans…). L’absence de rapports de fouilles, de photographies, de relevé des objets et d’inventaire des objets (4), cette tombe gardera pour longtemps ces secrets. Tombe d’Akhenaton ? Celle de Smenkhkarê ? Cette tombe n’a pas fini de nous intriguer. Il faut espérer que de nouvelles photographies inédites, prises peu après sa découverte en 1908, ressortent de l’oubli.
Pour aller plus loin
Dimitry Laboury, « Mise au point sur l’iconographie de Neferneferouaton, le prédécesseur de Toutankhamon », in Egyptian Museum collections around the World, volume 2, 2002, SCA Press, p. 711-722.
Marc Gabolde, Akhenaton, du mystère à la lumière, Gallimard.
M. Gabolde, D’Akhenaton à Toutânkhamon, Boccard, 1998.
/// Notes de bas de page ///
1) Reportez-vous à la bibliographie.
2) Pour beaucoup d’égyptologues,dont Nicholas Reeves dans son dernier ouvrage, l’abandon d’Amarna se fait peu après le couronnement de Toutankhaton ; or, la présence de l’enfant à Amarna se résume à bien peu de choses. Difficile de croire à l’abandon d’Akhetaton sous le règne de Toutankhamon. Le déroulement de ce retour n’est pas connu. Cependant, la ville reste habitée longtemps après son abandon en qualité de capitale du pays.
3) Aussi appelée tombe amarnienne.
4) Personne ne connaît le contenu exact de cette tombe. De nombreux objets disparurent et aucun inventaire récent ne permet de faire un inventaire provisoire. D’autre part, les bandelettes d’or ayant servi à emmaillotées la momie ont disparu. Or, elles portaient des noms royaux pour lesquelles il faudra une vérification…
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Néfertiti, la belle est arrivée
Article publié dans Pharaon Magazine n°12
Néfertiti est mondialement connue grâce à son sublime buste conservé au musée égyptien de Berlin. Mais qui est réellement cette reine ? D’où vient-elle ? Quel fut son rôle politique et religieux auprès d’Akhenaton ? Elle demeure une énigme. Pour cette nouvelle rubrique dans Pharaon Magazine, nous avons voulu célébrer les 100 ans de la découverte du buste de Néfertiti.
Nom : inconnu
Néfertiti est le nom donné par les prêtres égyptiens lorsque la jeune fille devient l’épouse du jeune roi Aménophis IV. C’est son nom de couronnement. Le véritable nom de la reine (« nom de naissance ») est totalement inconnu. Aucun texte, aucun document, aucun décor ne le mentionnent.
Nom couronnement : Néfernéférouaton-Néfertiti
Famille inconnue : le « clan d’Akhmin » ?
Les origines de Néfertiti demeurent totalement inconnues. Étrangère ou égyptienne ? Néfertiti, signifiant « la belle est arrivée » (ou « la belle est venue »), a parfois été compris comme une preuve que la jeune femme était étrangère, mais tout semble indiquer qu’elle est bien égyptienne.
Actuellement, l’hypothèse qu’elle pourrait appartenir au « clan d’Akhmin » est évoquée. Le « clan d’Akhmin » est un surnom donné par l’égyptologue français Marc Gabolde. Akhmin était une petite ville au nord de Louxor (à environ 180-200 kilomètres). Tiyi, reine d’Aménophis III et mère d’Akhenaton, y était originaire, tout comme sa famille. Aÿ, un des plus puissants fonctionnaires d’Akhenaton et futur pharaon, vient aussi de cette région.
Néfertiti vient-elle de la même région ? Malheureusement, aucune preuve ne nous permet de l’affirmer. Son éventuelle parenté avec Aÿ serait une preuve supplémentaire. Il n’est pas impossible que Tiyi ait voulu « imposer » à son royal fils, Aménophis IV, une jeune femme d’une famille amie ou appartenant à sa propre famille gravitant à Akhmin.
Nous connaissons à Néfertiti une sœur (1) : Bénéret-Mout. Elle est représentée à Amarna à plusieurs reprises et jouissait d’un grand prestige bien que nous ne connaissions rien de sa vie (2).
La reine Néfertiti
Lorsqu’Aménophis III meurt en son palais de Malqatta (près de Médinet Habou, rive gauche de Louxor), le prince héritier, Aménophis, 4edu nom, monte sur le trône. Nous ne savons pas s’il était déjà à Malqatta, ou encore à Memphis, la grande capitale du Nord (près du Caire actuel). Le prince y passa une partie de son enfance.
Le prince devient roi jeune, il n’a pas plus de 13-14 ans. Et étonnamment, aucune reine n’est à ses côtés hormis la reine-mère Tiyi, qui va jouer un rôle primordial aussi bien politique que diplomatique (3). Ce n’est que durant la 4eannée de règne que Néfertiti apparaît officiellement auprès du roi. Les premiers décors montrant le nouveau couple royal ont été découverts à Karnak, dans les grands temples d’Aton.
Sur la rive gauche de Louxor, Néfertiti est pour la première fois représentée dans la superbe tombe de Ramose, vizir et maire de Thèbes (4). Néfertiti devait être elle aussi jeune, peut-être 13-14 ans. Et elle est vantée pour sa beauté, comme le prouve le buste de Berlin (même si le buste est une beauté idéale).
Néfertiti : déesse vivante et rôle politique
Très rapidement, Néfertiti devient l’égal d’Aménophis IV et joue un rôle religieux de toute première importance. Il est très rare qu’une reine acquière une si grande importance politique et religieuse. Tiyi eut un rôle grosso modoidentique, mais pas aussi voyant.
Néfertiti rend le culte à Aton avec Aménophis IV et parfois, la taille de la reine est identique à celle du roi ! Ce qui est déjà en soi exceptionnel. Mieux, Néfertiti peut parfois pratiquer les rites à Aton seule, comme le montrent sans le moindre doute plusieurs vestiges de décors du Gempaaton (5). La reine est accompagnée par sa fille aînée, Merytaton, alors toute jeune, à peine un an. La célèbre scène de la tombe de Ramose montrant Néfertiti et Aménophis IV jetant à Ramose des bijoux se déroule dans une des cours du Gempaaton. Le couple royal est quasiment toujours présenté sur les décors des temples et des tombes à Amarna. À Amarna, certains rites envers le dieu unique Aton sont réservés aux seules femmes.
Néfertiti influença-t-elle la politique d’Akhenaton ou sa religion ? Contrairement à Akhenaton qui nous a laissé plusieurs textes politiques (stèles-frontières d’Amarna par exemple) et littéraire (le grand hymne à Aton), Néfertiti n’a rien laissé. En diplomatie, son rôle est, semble-t-il, inexistant : aucune lettre d’Amarna ne la cite. (6)
Mais incontestablement, Néfertiti joue un rôle théologique central dans la nouvelle religion. Elle est, à l’image de la reine-mère Tiyi, la nouvelle déesse Hathor. Elle porte régulièrement à Karnak la couronne hathorique caractéristique. Son rôle de nouvelle Hathor atteint son paroxysme lors du jubilé du roi en l’an 4 (la fête Sed) se déroulant à Karnak Est, le roi étant le dieu créateur, le dieu solaire par excellence. Toute l’iconographie officielle de l’époque d’Akhenaton tourne autour de la famille royale.
Les enfants
Néfertiti donna naissance à 6 filles : Merytaton (successeur immédiat d’Akhenaton), Maketaton, Ankhesenpaaton (reine de Toutankhamon), Néfernéférouaton-ta-shérit, Néfernéférourê et Sétepenrê. L’aînée naquit vers l’an 5. Trois d’entre elles moururent peu après la 12eannée de règne et furent inhumées dans la tombe royale : Makétaton, Néfernéférourê, Sétepenrê. La tombe royale nous montre la tristesse du couple royal durant les funérailles. Une 4efille disparaît avant la mort du roi, Néfernéférouaton-ta-shérit (7).
Au quotidien, ce sont des nourrices et des éducateurs qui veillent sur les princesses et les éduquent. Néfertiti s’en occupe sans doute assez peu. Les rituels quotidiens, les audiences publiques l’occupent toute la journée. Elle-même fut éduquée par une nourrice, la femme d’Aÿ, Tiy. De nombreux décors, des stèles, des peintures de palais nous montrent le roi et la reine jouant avec les petites princesses, mais ce n’est certainement pas la réalité au quotidien.
Néfertiti = mère de Toutankhamon (8) ?
Néfertiti est-elle oui ou non la mère de Toutankhamon ? L’analyse ADN des momies de Toutankhamon, d’Akhenaton (momie supposée) et de plusieurs momies de femmes permit de retrouver Tiyi, Akhenaton et la mère de Toutankhamon. Mais pour les chercheurs, il ne peut s’agir de Néfertiti, car la mère du jeune roi serait une sœur d’Akhenaton ! Or, Néfertiti n’est jamais appelée « sœur du roi ». Cependant, si Néfertiti appartient à la famille de Tiyi, sa proximité avec la reine-mère et donc avec Akhenaton, ne permet pas de différencier au niveau ADN une sœur d’une prochaine cousine ! Donc, il n’est pas impossible que Néfertiti soit la mère de Toutankhamon.
Une disparition énigmatique !
Après la 12eannée de règne, les documents datés deviennent rares et peu nombreux. Nous ne savons pas ce qu’il se passe à Amarna. Néfertiti disparaît littéralement de la documentation officielle ! Marc Gabolde, grand spécialiste d’Akhenaton, pense que la reine meurt avant le pharaon, peut être vers la 16eannée. Elle est âgée d’environ 30-35 ans, guère plus. Une statue de la reine au musée égyptien de Berlin la présente comme une « vieille femme », âgée et fatiguée. L’espérance de vie est faible même pour une reine, 35-40 ans. Les grossesses multiples l’ont épuisée et la maladie rôdait à Amarna à la fin du règne (9).
Des égyptologues pensent que la reine succéda à Akhenaton sous le nom de Ankh(et)khépérourê-Néfernénéférouaton. Ce nom est proche de celui de la reine… Il est cependant plus probable que ce soit Merytaton, la fille aînée, qui prit la succession.
La tombe de Néfertiti nous est inconnue. Aucun indice sérieux ne fut découvert dans la tombe royale d’Akhenaton à Amarna. Peut-être une des tombes royales situées dans une petite vallée, à quelques centaines de mètres du tombeau du roi, lui fut-elle attribuée.
En complément : voir notre rubrique « livre coup de cœur »
Bibliographie
Pharaon Magazine hors série n°5, Les pharaons maudits.
Marc Gabolde :Akhénaton : Du mystère à la lumière, Collection « Découvertes Gallimard », Editions Gallimard, 2005.
Dimitri Laboury, Akhénaton, Pygmalion, 2012
/// Notes de bas de page ///
1) Ce qui ne veut pas dire que la reine n’eut pas d’autres frères et sœurs.
2) Peut-être est-elle la reine d’Horemheb, une quinzaine d’années après la mort d’Akhenaton…
3) Ainsi, dans la tombe de Kherouef (Louxor), seule la reine-mère accompagne le roi.
4) Sur cette tombe : François Tonic, La tombe de Ramose, 2012.
5) Le Gempaaton est un des temples d’Aton à Karnak Est construits par Aménophis IV / Akhenaton.
6) les Lettres d’Amarna sont les « archives » diplomatiques d’Akhenaton. Il s’agit de la correspondance des rois et princes étrangers avec l’Égypte.
7) Décès supposé.
8) Voir le hors série n°5 de Pharaon Magazine, « Les pharaons maudits » pour en savoir plus.
9) Une forme de peste a pu s’abattre sur l’Égypte et Amarna.
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"La belle est venue"
Extrait de Pharaon Magazine (2012)
Mais qui est donc cette « belle est venue » au visage si parfait du buste de Berlin ? Depuis plus d’un siècle, les archéologues remuent le sable d’Amarna et de Louxor dans l’espoir de trouver des indices. Rien ! Ce « mannequin » apparaît aux côtés d’Amenhotep IV – Akhenaton vers 1351-1350. Immédiatement, elle est omniprésente auprès du pharaon. Parfois, elle officie seule durant les cérémonies. Preuve de son exceptionnelle importance pour le roi, car il est rarissime qu’une reine soit montrée seule sur les murs des temples.
Une femme totalement inconnue de l’Histoire !
Elle doit avoir à peu près 13 – 15 ans à son couronnement. Pour l’occasion, les prêtres lui donnent un nom de couronnement (un nom officiel en quelque sorte), Néfertiti, littéralement la « belle est venue ». Nous ne connaissons pas le véritable nom de la reine (son nom de jeune fille). Pis, nous ne savons pas d’où elle vient, ni l’identité de ses parents, de sa famille. Une certitude : elle est Égyptienne. Sa famille est sans doute influente ou ayant un certain pouvoir. De nombreuses hypothèses ont été émises sur ses origines : originaire de la ville d’Akhmin au nord d’Abydos, fille du haut fonctionnaire Aÿ, successeur de Toutankhamon, une cousine de la reine mère Tiyi. Sa nourrice fut Tiy, la femme de Aÿ.
Durant la célébration du jubilé d’Amenhotep IV, Néfertiti est l’incarnation de la déesse Hathor, fille du dieu soleil, Rê. Elle sera au cœur, avec Akhenaton, de l’art nouveau que le roi impose. Nous la voyons jouer avec ses filles (elle en aura six). De sa vie, rien. Nous avons juste des « photos » de la presse « people » sur les temples et les décors des tombes. Durant le dernier tiers du règne d’Akhenaton (de l’an 12 à 17), elle semble disparaître des documents officiels. Elle meurt peut-être avant le pharaon. Nous ne connaissons ni sa tombe, ni sa momie.
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La tombe de Kherouef
Dans le précédent numéro, nous avions vu la tombe du vizir Ramosé à Gournah. Cette fois-ci, nous nous déplaçons de quelques kilomètres pour rejoindre la vaste nécropole de l’Assassif, au pied des temples de Deir el-Bahari. Nous nous intéresserons à la tombe de Kherouef, dignitaire contemporain de Ramosé.
Article initialement publié dans Toutankhamon Magazine n°33
Datant de la même période que celle de Ramosé, la tombe de Kherouef remonte aux règnes d’Amenhotep III et de son fils Amenhotep IV. Même si la décoration l’indique, la réalité n’est pas aussi simple. Kherouef fut intendant de la grande épouse royale Tiyi. Aujourd’hui connu sous le numéro TT 192 (tombe thébaine 192), le tombeau souffre d’un délabrement général. La partie visitable se trouve dans la cour de l’hypogée, située après l’entrée. Le monument resta inachevé, sans doute dû au décès prématuré du dignitaire.
La qualité et la grandeur des lieux prouvent toute l’importance et la richesse de Kherouef, très proche du pouvoir. Les parents de Kherouef (notons que Kherouef n’est pas le nom de naissance du dignitaire) avaient sans aucun doute une haute position. Il semble qu’il fut proche du roi, en plus de la reine. À l’instar d’un Ramosé, nous ne connaissons ni de femme, ni d’enfants.
Des reliefs exceptionnels
Une des caractéristiques du tombeau est d’être creusé non pas dans la montagne thébaine mais dans le sol rocheux. L’état de délabrement actuel de la tombe résulte de plusieurs siècles d’abandon et d’une roche parfois instable. De plus, de nombreuses autres tombes sont accessibles à partir de la TT192. La place manque à l’Assassif !
Peu connue, la tombe de Kherouef, malgré la perte de la plupart de ses couleurs, demeure un des chefs-d’œuvre de Louxor. Prévoyez une bonne lampe torche pour mieux observer les reliefs. Il n’y a pas d’éclairage et les étais servant à soutenir le plafond gênent l’observation. Et malgré un récent début de nettoyage des reliefs de leur couche noirâtre, le décor demeure sombre, surtout dans les secondes moitiés du portique (à gauche et à droite de l’entrée).
Le plan
On pénètre dans la tombe par une volée de marches s’enfonçant dans le sol. Après la grille, on aboutit à une sorte de couloir. De là, on découvre une grande cour. Les piliers se résument à des moignons difformes. En face, on accède à une salle à colonnes, classique dans la tombe thébaine du Nouvel Empire, puis une seconde salle à colonnes, et enfin la chapelle. On accède à la partie souterraine dans la première salle à colonnes. Le plan ressemble fortement à celui de Ramosé, en plus grand.
À noter que la tombe reçut un décor seulement dans le corridor d’entrée et le fond de la cour. Aucun indice n’indique l’inhumation de Kherouef. L’abandon de la tombe eut peut-être lieu avant la mort du dignitaire à cause d’un possible effondrement.
Un style Amenhotep III
La majeure partie de la carrière de Kherouef se déroule sous le règne d’Amenhotep III et se termine durant les premières années d’Amenhotep IV. Le style de la décoration est proche de celui utilisé à Ramosé. Contrairement à la tombe du vizir, chez Kherouef, nous ne trouvons pas de style amarnien. Cela signifie que la tombe date d’avant les grands changements de la fin de l’an III, début de l’an IV d’Amenhotep IV. Lorsque celui-ci est représenté, il l’est dans le style classique. Notons d’autre part que le style de la tombe n’est pas aussi baroque que dans les canons de Ramosé. Ce détail a son importance pour la datation de la tombe.
Amenhotep IV et Kherouef
Lorsqu’on arrive devant la grille protégeant l’entrée du tombeau, le linteau (au-dessus de l’entrée) représente Amenhotep IV avec ses cartouches. Le roi et son nom furent martelés à la mort du souverain, lorsque l’ordre ancien se rétablit. Il est accompagné de sa mère, la reine Tiyi. Le roi fait des offrandes à Atoum, Hathor, Rê-Horakhty et Maât. Passé le pas de la porte, on débouche sur un court corridor. Sur la paroi de gauche, une autre représentation martelée d’Amenhotep IV faisant sans doute une libation à Amenhotep III et Tiyi.
Peut-on établir une chronologie ?
Comme pour la tombe de Ramosé, celle de Kherouef pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, l’absence de Néfertiti auprès d’Amenhotep IV, alors que chez Ramosé, la grande épouse royale est bel et bien présente, et dans un style amarnien. Ici, rien. Seule la reine-mère, Tiyi, accompagne le nouveau roi. L’absence du style amarnien pose une autre difficulté. Enfin, la présence des deux rois repose inévitablement la question de la co-régence entre Amenhotep III et IV.
Une preuve de co-régence
Un des arguments concerne le relief montrant Amenhotep IV faisant une libation à Amenhotep III et Tiyi, juste après l’entrée. Les personnages sont-ils tous vivants ? Est-ce un hommage posthume d’Amenhotep IV envers son père ? Dans ce cas, pourquoi Tiyi se tient-elle derrière le roi défunt ? L’emplacement de ce relief (à l’entrée) constitue-t-il un argument de co-régence ? Amenhotep IV est déjà couronné. Et à l’intérieur du tombeau, on peut voir les 1eret 3ejubilées (fêtes sed) de son père. Aurait-on terminé la décoration par l’entrée ? Difficile dans ces conditions d’établir une chronologie des reliefs. Pour Murnane, il y aurait environ 10 ans d’écart entre les représentations du premier jubilé et la représentation d’Amenhotep IV.
Nous avons au moins deux dates connues : le premier jubilée se déroule en l’an 30 et le troisième en l’an 36/37 d’Amenhotep III. Cependant, cela ne signifie pas que la décoration portant sur le premier jubilée ait été exécutée vers l’an 30. Les artisans ont parfaitement pu œuvrer plus tard. Si on doit admettre une longue co-régence à partir de l’an 28, comment expliquer qu’Amenhotep IV fait face à Maât, Atoum et Rê Horakhty sur le linteau de l’entrée ? À la mort d’Amenhotep III, on aurait été en l’an 9/10 d’Akhenaton et donc lors de la 3efête sed. La tombe aurait dû montrer le nouveau style artistique, la reine Néfertiti et surtout la présence d’Aton. Or, nous n’avons aucun des trois ! Il faudrait supposer qu’Amenhotep IV succède à la mort d’Amenhotep III sur le trône d’Égypte.
Chronologiquement, cette tombe serait plus récente de quelques mois que celle de Ramosé. La décoration de la tombe ne dépasse pas la 2eannée, voire le début de la 3eannée du nouveau roi, soit avant les changements.
Marc Gabolde ne s’oppose pas à ce que le décor date entièrement des premières années d’Amenhotep IV même si on représente des événements antérieurs. La date la plus élevée retrouvée pour Amenhotep III dans cette tombe est l’an 37 (3ejubilé). Notons aussi l’absence de mention du second jubilé : cela vient sans doute du fait que Kherouef n’y joua aucun rôle (important).
Sur la libation d’Amenhotep IV à Amenhotep III (et Tiyi), Marc Gabolde rappelle que la fumigation et la libation sont caractéristiques du culte rendu aux dieux et aux défunts et qu’elles ne sont jamais pratiquées devant un roi vivant. La position d’Amenhotep IV devant Amenhotep III est un agencement intéressant. Cela ressemble fortement aux rois devant des divinités. Marc Gabolde note avec justesse : « On ne la rencontre jamais dans des décors mettant en scène deux co-régents ». L’égyptologue conclut qu’Amenhotep III est ici divinisé.
L’absence de Néfertiti
Le fait que le jeune roi soit suivi de la reine-mère Tiyi intrigue beaucoup. Si Néfertiti était reine dès le couronnement d’Amenhotep IV, pourquoi constate-t-on son absence ? Cela serait un crime de lèse-majesté. Une conclusion plausible serait que durant les premières années de son règne, Amenhotep IV est trop jeune pour avoir une reine et que Néfertiti apparaît seulement vers l’an 3, d’où la présence de Tiyi. Et comme la tombe de Ramosé est plus récente de quelques mois, Néfertiti y est présente.
Une iconographie festive
La décoration existante se concentre sur les deux jubilés du roi. Sur la partie de gauche (quand on rentre), il s’agit du premier jubilé. Dans le registre inférieur, on admire les scènes de danse et de musique. On découvre, près du trône royal, les filles du Grand, au nombre de 8, offrant des vases au souverain. Juste devant le dais, Kherouef reçoit l’or d’honneur (avec quatre lourds colliers posés sur une table). L’image du dignitaire a été entièrement martelée. Sous le dais, le roi est assis sur un trône et est suivi d’Hathor et de Tiyi.
Dans l’autre « aile », on retrouve les festivités du 3ejubilée. Le roi, toujours sur son trône, est accompagné de la seule reine Tiyi. Devant le dais, Kherouef fait des offrandes au couple royal (là encore, sa figure est martelée). Le roi apparaît jeune. La plateforme supportant le dais propose la représentation des Haou Nebout, les neuf ennemis de l’Égypte. Les scènes suivantes sont très importantes car elles représentent l’érection du pilier Djed et les danses et offrandes en l’honneur de l’événement.
Bibliographie
Peter F. Dorman, The long coregency revisited : architectural and iconographic conundra in the tomb of Kherouef, Oriental Institute.
Marc Gabolde, Akhenaton, du mystère à la lumière, Gallimard.
http://www.osirisnet.net/tombes/nobles/kheru/kherouef1.htm
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Le problème Néfertiti
Extrait : la tombe royale d'Akhenaton, livre de François Tonic
Il est temps de nous attarder sur Néfertiti et sur son lien avec la tombe royale. Nous n’allons pas ici reprendre l’énorme dossier : sa vie, sa mort, sa tombe. Sur ce sujet, vous pourrez lire ou relire les ouvrages et articles scientifiques de Marc Gabolde et de Dimitri Laboury.
Comme nous l’avons vu, il n’y a, a priori, aucune scène mortuaire de Néfertiti dans la tombe royale. Rien dans les objets découverts n’appartient à la reine (sauf à considérer le sarcophage d’Akhenaton comme appartenant à Néfertiti ou des fragments de ce monument appartenant en réalité à la reine). Aucune inhumation de la reine ne peut être prouvée dans la tombe royale. Les salles 1 à 6, par les dimensions et l’agencement des salles, appartiennent incontestablement à une personne royale, peut-être Néfertiti.
La mort de la reine est impossible à dater. Elle est vivante lors des funérailles de Tiyi et des trois princesses. Cependant, un décor étonne : la reine est absente des monuments décorés et construits à la fin du règne d’Akhenaton, son nom fut même parfois martelé…
Un oushebti ou deux ?
Deux fragments ont suscité beaucoup de débats : un pied d’un oushebti amarnien conservé au Brooklyn Museum of Art, un torse sans doute d’une reine amarnienne conservé au Musée du Louvre. La colonne de texte contient le cartouche de la reine. L’aspect momiforme de l’objet prouve qu’il s’agit bel et bien d’un serviteur funéraire. Provenance : ouadi royal ou un autre ouadi d’Amarna.
Le morceau du Louvre est malheureusement fragmentaire. On voit parfaitement deux sceptres royaux. Le texte de la colonne se traduit ainsi : « … la princesse héréditaire, la grande du palais, la favorisée de… » (traduction de J-L Bovot, les serviteurs funéraires royaux et princiers de l’ancienne Égypte, 2003, RMN). Le propriétaire est une femme, cela ne fait aucun doute. La provenance du fragment du Louvre est inconnue, mais Amarna est probable.
L’égyptologue Christian Loeben, en 1986, rapproche les deux fragments. Pour le chercheur, il s’agit d’un seul et même oushebti, appartenant à Néfertiti, comme le dit explicitement le cartouche de la reine au niveau des pieds. Mais le rapprochement ne fait pas l’unanimité : le haut appartiendrait à une femme roi (succédant immédiatement à Akhenaton) à cause des sceptres.
Un élément est irréfutable : sur le pied de Brooklyn, Néfertiti est qualifiée de « grande épouse royale » et non de roi de Haute et Basse Égypte. Ce détail est crucial, car il serait étrange et incongru qu’une statuette funéraire du pharaon Néfertiti porte le seul titre de « grande épouse royale »…
Où mettre la reine ?
Néfertiti serait morte avant Akhenaton. Le fragment d’oushebti, son absence sur les décors tardifs d’Amarna sont autant d’indices de son trépas. Problème : rien dans la tombe royale ne fait référence à des scènes mortuaires de la reine, aucune trace du mobilier funéraire…
Si les salles 1 à 6 étaient la tombe prévue de la reine, les ouvriers creusaient toujours la roche lors de son décès. La tombe royale étant déjà encombrée, les autorités ont-elles cherché une tombe temporaire, par exemple, dans le ouadi secondaire ? Si un projet d’inhumation d’une personne importante fut envisagé dans la tombe 28 comme le pense Marc Gabolde (2008), le projet fut rapidement arrêté.
Bref, le lieu d’inhumation de la grande épouse royale demeure inconnu !
Pour aller plus loin :
M. Gabolde, 1998, pp170-174
J-L Bovot, les serviteurs funéraires royaux et princiers de l’ancienne Égypte, 2003, RMN
Collectif, Akhenaton et Néfertiti,2008, Genève : Marc Gabolde, pp98-103
Collectif, Akhenaton et l’époque amarnienne, 2005, éditions Khéops & Centre d’égyptologie : arguments et contre-argument de J-L Bovot et de C. Loeben, pp225-246
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A la recherche de la tombe de Néfertiti
L’été dernier a été marqué par un article de Nicholas Reeves, égyptologue spécialiste de la période amarnienne et de Néfertiti, « the burial of Nefertiti ? ». L’idée de cette recherche est la localisation de la tombe de Néfertiti. Reeves affirme que Néfertiti est la femme-roi qui succède à Akhenaton et que la tombe de Toutankhamon était à l’origine la tombe d’une princesse puis d’une reine et que deux salles inconnues se cacheraient derrière les décors. Qui serait alors cette femme royale ? Pour Nicholas Reeves, ce serait Néfertiti. Une première prospection a été menée dans la tombe en septembre dernier.
Publication initiale dans Pharaon Magazine n°23
Avertissement : cet article est notre analyse (succincte) de la publication « Burial of Nefertiti ? » de Nicholas Reeves, publiée en juillet 2015.
Néfertiti alimente les débats égyptologiques depuis plus d’un siècle. Le dernier tiers du règne d’Akhenaton est mal connu : chronologie incertaine, événements mal connus. Nous savons qu’une femme succède à Akhenaton lorsqu’il meurt durant sa 17eannée de règne. Dans les palais d’Amarna règnent une atmosphère de fin de règne et la nécessité de ne pas laisser le trône vide.
Qui est la femme-roi qui succède à Akhenaton ?
Le prince Toutankhaton, qui n’habite peut-être pas encore à Amarna, la capitale, est très jeune, à peine 6 ans. Une femme devient pharaon à la mort d’Akhenaton et va régner environ 3 ans, avec un intermède de quelques mois avec le très obscur pharaon Smenkhkharê, qui n’a peut-être pas réellement régné. Cette femme-roi serait aussi quelques mois corégente de Akhenaton.
Mais qui est donc cette femme-roi ayant pour nom Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… ?
Nicholas Reeves établit d’emblée que le successeur d’Akhenaton ne peut être que Néfertiti. Pour le chercheur, cela ne fait aucun doute : il s’appuie sur la découverte il y a quelques années d’un graffiti datant de l’an 16 d’Akhenaton, mentionnant Néfertiti, en qualité de grande épouse royale, et qu’un des noms de Néfertiti est Neferneferouaton.
Il ne retient pas l’hypothèse que Méritaton soit le successeur et le pharaon Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… et mentionne à peine les derniers travaux de Marc Gabolde sur le sujet et qui considère que Néfertiti disparaît avant l’an 17 d’Akhenaton. Hormis ce nouveau graffiti découvert près d’Amarna, Néfertiti n’apparaît plus dans les documents officiels. Il est très difficile de savoir si Néfertiti est réellement vivante à la mort du roi. Ce graffiti indique uniquement que la reine serait vivante durant l’an 16 du règne d’Akhenaton, rien de plus.
Où est donc la tombe de Néfertiti ?
Morte avant Akhenaton ou après lui, nous ne savons pas où Néfertiti fut inhumée. A Amarna, nous n’avons aucune trace concrète de la moindre tombe de la grande reine. Comme nous l’avions écrit dans notre livre (la tombe royale d’Akhenaton, éditions Nefer-IT, 2014), aucune scène funéraire de la tombe du roi à Amarna ne fait référence à la mort de la reine. Aucun fragment de sarcophage n’est actuellement attribué à la reine, cependant, des doutes existent sur l’affectationde la cuve funéraire, que l’on considère appartenir à Akhenaton, ou de plusieurs fragments de sarcophages dont le propriétaire pose problème.
Un fragment de serviteur funéraire (oushebti), conservé au Brooklyn Museum, appartient à Néfertiti, son cartouche y étant gravé. Problème : le texte visible fait référence à Néfertiti, grande épouse royale et non comme pharaon. Cela pose problème, car si Néfertiti avait été roi, ce fragment aurait dû y faire référence (voir notre livre, la tombe royale d’Akhenaton).
On évoque souvent les salles 1 à 6 de la tombe royale d’Akhenaton comme une « seconde » tombe (une tombe dans la tombe), destinée à Néfertiti. Hypothèse possible mais malheureusement sans aucun indice. Cette « tombe » ne fut jamais terminée et le chantier s’arrêta net. La mort du roi a pu interrompre le travail ou alors, Néfertiti décéda, interrompant le chantier. Si nous considérons le décès de la reine avant celui du roi, sa tombe n’était sans doute pas prête et un tombeau provisoire a pu être aménagé ailleurs.
Quelques années après la mort d’Akhenaton et après le retour du roi à Thèbes (Louxor) et l’abandon d’Amarna, la tombe royale fut rouverte et partiellement déménagée, notamment dans la vallée des rois : Akhenaton se retrouva dans la tombe 55 de la vallée des rois, Tiyi fut inhumé dans la tombe d’Amenhotep III.
Récemment, les études ADN ont identifié plusieurs membres de la famille royale :
- le squelette de la tombe 55 = Akhenaton
- la momie dite de la vieille dame = Tiyi, mère d’Akhenaton et reine d’Amenhotep III
- la momie dite de la jeune dame = la mère de Toutankhamon, mais son identité fait toujours débat. La possibilité qu’il s’agisse de Néfertiti n’est pas à écarter.
Les tombes des filles survivantes d’Akhenaton ne sont pas connues à Louxor. Il est probable que Néfertiti fut inhumée à Louxor, dans une tombe inconnue.
La tombe de Toutankhamon : à qui appartient-elle réellement ?
Nicholas Reeves dirigera une mission archéologique durant plusieurs années ayant pour but de dégager le centre de la vallée des rois qui était utilisé sous Toutankhamon et jusqu’au règne de Horemheb. Il n’a pas pu aller jusqu’au bout de la fouille. Quelques années plus tard, c’est l’équipe d’Otto Schaden qui dégagea la tombe 63, à quelques mètres de celle de Toutankhamon.
Reeves rappelle, avec raison, toutes les tombes ayant un lien avec la période qui nous occupe* :
- KV54 : cache d’embaumement, un puits contenant les restes d’embaumement et des funérailles de Toutankhamon.
- KV55 : tombe inachevée ayant servi à entreposer des dizaines d’objets liés à Akhenaton, Kiya et Tiyi. Squelette d’Akhenaton.
- KV56 : surnommée la tombe d’or. Datation possible à cette période. Propriétaire inconnu.
- KV57 : tombe de Horemheb
- KV58 : petite tombe appartenant à un propriétaire inconnu. Des fragments d’or et de meubles y furent trouvés, en référence à Toutankhamon et Aÿ.
- KV62 : tombe de Toutankhamon
- KV63 : tombe ou cache d’embaumement. Fouille non terminée et non publiée. Datation incertaine (Toutankhamon, Horemheb ?)
* KV : King Valley, vallée des rois. Les tombes sont numérotées dans l’ordre de leur découverte.
Un des éléments les plus intéressants de l’étude publiée est une analyse de la tombe 62, celle de Toutankhamon. Nous savons que ce tombeau n’a pas les dimensions ni le plan d’un tombeau royal. Nicholas Reeves rappelle aussi que de très nombreux objets du mobilier funéraire proviennent d’Akhenaton et surtout d’Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton…
Le chercheur pense que nous faisons fausse route en considérant KV62 comme une tombe privée, adaptée à la hâte en tombe royale : et si, KV62 avait été un projet royal (pour une princesse ou une reine) qui fut repris et modifié par les architectes de Toutankhamon.
Après avoir examiné attentivement les photos haute résolution réalisées avec les dernières technologies d’imagerie par la société Factum Arte, Reeves avance l’idée qu’il existe deux ouvertures masquées sous les décors actuels de la salle funéraire de Toutankhamon. Ces portes donnent accès à une annexe de stockage et un couloir ou à une ou plusieurs salles inconnues.
Ces aménagements dateraient du premier état de la tombe, sous la femme-roi Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton…, identifiée comme étant Néfertiti par Nicholas Reeves.
KV62 : la trace d’une première tombe et deux salles inconnues ?
Factum Arte fut chargé de réaliser une copie exactement identique de toutes les salles de la tombe. Ce fac-similé est aujourd’hui visible près de la maison de Carter. Cette analyse a permis de détecter la moindre imperfection des parois et surtout d’analyser les différentes couches de plâtre, de pigments et d’enduits appliquées sur les parois de la salle funéraire.
Nicholas Reeves a minutieusement analysé les images de Factum Arte. C’est à ce moment-là qu’il met en évidence des anomalies sur deux parois de la salle funéraire. Il y voit les traces de deux ouvertures soigneusement bouchées par de la maçonnerie et le décor masque aujourd’hui totalement ces portes supposées.
Il remarque des imperfections en léger relief sur la paroi gauche, celle avec les babouins décrivant la première heure de la nuit. Plusieurs lignes lui semblent « artificielles » et trop parallèles pour être des fractures ou des défauts de la roche. Il évoque les deux montants d’une porte. Ces « défauts » disparaissent nets et au même niveau. L’ouverture fut masquée par des blocs puis l’ensemble fut plâtré. Cette architecture se retrouve dans la tombe 62 et dans celle d’Amenhotep III.
Le chercheur évoque aussi le fait que les architectes étaient limités dans les aménagements. La salle funéraire fut peut être modifiée une ou deux fois avant Toutankhamon. Lorsque les architectes du roi reprennent la tombe, ils doivent intégrer les décors et les salles existantes. Ils ferment deux salles et modifient et complètent les décors.
Les architectes ont-ils voulu, à une date indéterminée, créer une salle funéraire typique de la 18edynastie : salle rectangulaire au sol rabaissé et 4 salles annexes.
La 2eanomalie se situe sur le long mur sur lequel nous voyons la cérémonie de l’ouverture de la bouche faite par le roi Aÿ (le nouveau pharaon) sur la momie de Toutankhamon.
Une trace très claire semble parcourir toute la hauteur du mur. Pour Reeves, il ne s’agit pas d’une fracture naturelle de la pierre. Elle pourrait provenir d’une modification de plan de la tombe comme si initialement, la salle funéraire n’était pas rectangulaire, mais ressemblait à un couloir puis décision fut prise de l’élargir. Cet agrandissement, s’il a existé, a laissé une trace.
D’autres traces artificielles semblent correspondre à une ouverture, là aussi, soigneusement rebouchée et masquée.
Si porte il y a, sur quoi donne-t-elle accès ? Un couloir ? Une salle ? Si pour la première salle inconnue, Reeves fait référence à une annexe de stockage, pour la seconde salle, il évoque plutôt une salle funéraire contenant peut-être l’inhumation initiale de la tombe (Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… ?).
Nous pouvons mettre en évidence les éléments suivants :
- les deux ouvertures inconnues sont au niveau du sol de la salle funéraire
- cela signifie que le sol avait déjà été modifié
- l’ouverture faisant face au vestibule (« 2eporte ») fut sans doute aménagée en premier, puis le couloir fut agrandi pour lui donner sa forme actuelle et creuser une salle annexe aujourd’hui masquée
Reeves pense que la tombe fut initialement prévue pour une femme (princesse ou reine) et non pour un roi.
L’analyse des peintures donne des indices (ou pas)
En 2012, Getty Conservation Institute a analysé les couches picturales de la tombe 62. Cette étude très poussée permet de distinguer les différentes couches appliquées sur la roche naturelle :
- le support : roche naturelle
- les couches de plâtre
- les couches préparatoires au décor
- la couche du fond du décor
- les couches du décor proprement dit
Si l'on regarde les différents décors de la salle funéraire, le visiteur y voit un décor homogène et de même qualité. Reeves, et c’est un des intérêts de sa publication, met en évidence des différences décoratives, particulièrement sur le grand mur (mur Nord) avec Aÿ, Toutankhamon et Osiris. Il y aura deux phases de décoration.
Le mur Nord serait le premier à avoir été décoré et plusieurs détails pourraient conforter cette idée :
- les couches préparatoires (avant la pose du décor) ne sont pas identiques aux autres parois
- absence totale de « guides » pour aider les artisans à tracer les figurations et les textes. Guides visibles sur les autres parois
- différences dans l’ordre des couches et sur l’ordre de poses des couleurs
Reeves rappelle (une analyse datant de 1984) que la grille de proportions du décor du mur Nord est une grille de 20 carrés alors que les autres décors utilisent une grille de 18. La grille de 20 correspond à la période amarnienne. Comment expliquer l’utilisation de deux types de proportions dans une même salle funéraire ?
Cela signifie que le mur Nord est le premier décor de cette salle et date soit d’avant Toutankhamon, soit du tout début du règne du jeune roi. Quand la grille revint à une grille de 18, les artisans ont utilisé la nouvelle proportion.
Reeves pense que ce premier décor est le vestige de la première tombe et qu’initialement, une reine (la femme-roi ?) était représentée, mais que ce décor fut modifié à la mort de Toutankhamon (?).
A droite, les cartouches indiquent qu’il s’agit du roi Aÿ qui réalise les rites de l’ouverture de la bouche au roi défunt, Toutankhamon. Mais la physionomie de ce roi est proche du pharaon devant la déesse Nout. Il s’agit d’une usurpation d’identité de la part de Aÿ. On constate aussi un nombril triangulaire, caractéristique du règne de Toutankhamon.
Deux détails sont remarquables :
- la commissure des lèvres tombantes est caractéristique : les rois du mur nord ne possèdent pas la même forme de bouches
- les plis en haut du cou ne sont pas présents partout
La commissure très marquée et tombante, les plis du cou s’observent sur plusieurs statues et décors de cette période. Ainsi, les bouchons des vases canopes de Toutankhamon se rapprochent de ces critères. Nous savons qu’ils furent usurpés au profit du jeune roi. Initialement, ces vases étaient dédiés à Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… Mais nous retrouvons aussi ces critères sur la tête du jeune roi sortant d’une fleur de Lotus.
Dans l’iconographie de Néfertiti, la forme tombante de la bouche n’est pas systématique. Nous trouvons les deux formes. La commissure tombante serait plus présente dans les représentations « âgées » de la reine, mais elle est visible sur le buste de la reine qui daterait du début du règne d’Akhenaton…
Nous serons moins affirmatif que Reeves sur l’identité réelle des personnages du mur Nord, mais il y a incontestablement des incohérences entre les différentes représentations royales de Toutankhamon, mêmes différences pour les représentations divines. Nous sommes en présence d’au moins deux états du décor. Le décor fut modifié et adapté au profit de Toutankhamon (avant une dernière modification immédiatement après la prise de pouvoir de Aÿ).
Etait-ce Toutankhamon et Néfertiti qui étaient représentés dans la première scène de droite ? Ou la sœur aînée de Toutankhamon, Meritaton (sous le nom de Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton…) ? Il faudrait reprendre l’étude complète des peintures.
Pour ou contre ?
Nous n’avons pas exploré dans cet article l’ensemble des éléments de la publication de Nicholas Reeves, mais vous avez les premiers éléments pour vous faire votre opinion. Nous sommes prudents sur l’identité réelle de la femme-roi Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton…. Reeves affirme, sans beaucoup de doute, qu’il ne peut s’agir que de Néfertiti, mais les études menées, notamment, par Marc Gabolde montrent qu’il existe un sérieux doute et une forte possibilité que Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton… soit Meritaton. Mais Reeves évacue ces études.
Les anomalies architecturales de la salle funéraire de la tombe 62, ainsi que le plan du tombeau, permettent de poser des questions sur le véritable propriétaire de la tombe. Il faudrait sans doute réécrire l’histoire de la KV62. L’existence de deux salles scellées et inconnues repose, pour le moment, uniquement sur les interprétations des images haute définition de Factum Arte. Seule une vérification sur place confirmera, ou non, cette hypothèse.
Nicholas Reeves met aussi en évidence les cohérences stylistiques sur l’ensemble des personnes du mur Nord de la salle funéraire. Là aussi, il sera nécessaire de revoir l’analyse de ce décor. Les éléments apportés jettent le trouble sur l’identification des personnages même s’il est impossible d’être aussi affirmatif que Reeves. Certains pharaons pourraient être la femme-roi Ânkh(et)kheperourê… Neferneferouaton…
Les positions et les idées de Nicholas Reeves sont souvent à l’opposé des positions admises, mais elles ont le mérite de nous interroger et d’ouvrir des débats et de réinterpréter des décors, des objets que l’on jugeait définitivement « acquis ».
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