Les Textes des Pyramides constituent le recueil de textes religieux le plus ancien connu et complet qui nous soit parvenu. Il apparaît subitement à la fin de la 5e dynastie (vers 2400 av. J.-C.) sans être totalement figé. D’une complexité remarquable, ces textes servent de générateurs de vie éternelle dans l’au-delà. Car la mort n’est pas une fin en soi pour les anciens Égyptiens, même si les pharaons sont les seuls à en bénéficier (1). Ces textes sont remarquables pour une autre raison : une organisation spatiale dans la pyramide qui répond à un parcours du mort vers la lumière et à une théologie hiérarchisée.
Par François Tonic, article publié dans pharaon magazine n°3
Quand on visite la pyramide de Téti à Saqqarah, l’unique pyramide à textes (2) ouverte au public, on admire sans réellement comprendre des centaines de colonnes de textes gravées et peintes. Tout juste si le guide précise qu’il s’agit de formules pour que le roi revive après la mort dans le monde de l’au-delà. L’architecture et l’agencement des salles funéraires de la pyramide du roi répondent à des critères bien précis. Et les textes, composés de chapitres, sont placés à des endroits précis : tel mur de telle salle pour tels chapitres. C’est ce que l’on appelle l’organisation (ou agencement) spatiale des textes des pyramides (TdP).
Les égyptologues distinguent dans les textes trois catégories de formules :
- formules de résurrection ;
- formules magiques (repousser les mauvais esprits, l’adversaire…) ;
- formules d’offrandes rituelles.
Les textes se composent de formules (que l’on pourrait comparer à des paragraphes) et ces formules sont regroupées dans des chapitres.
Des salles, deux axes, des textes
Généralement, dans une pyramide de la 5e ou 6e dynastie, on y pénètre par une descenderie aboutissant à une antichambre. Un court passage permet l’accès à la salle funéraire contenant le sarcophage royal et un plafond en forme de triangle (dit plafond en chevron). Une dernière salle avec trois niches s’ouvre à l’opposé de la salle funéraire (au niveau de l’antichambre).
Le cheminement vers la résurrection du roi défunt débute dans la chambre funéraire contenant le sarcophage et la momie. Ainsi, les salles funéraires correspondent à un monde « secret » du profane et à une cosmologie, comme le définit Bernard Mathieu :
- la chambre funéraire du sarcophage = la Douat ;
- le passage entre la salle funéraire et l’antichambre = la porte permettant de quitter la Douat ;
- l’antichambre = l’Horizon (région du monde de l’au-delà) sous l’horizon visible ;
- le couloir d’entrée = la porte donnant accès au ciel, à la lumière en sortant de l’Horizon.
L’étude des textes menée depuis 40 ans par plusieurs égyptologues français a permis d’en savoir plus sur la répartition spatiale des textes entre les parois des différentes salles. Et cela a permis de découvrir une régularité de leur emplacement d’une pyramide à une autre.
D’autre part, les chercheurs mettent en évidence deux axes : un axe nord-sud et un axe est-ouest.
La Douat de la chambre funéraire
Le roi défunt repose dans son sarcophage dans la salle funéraire. Son plafond représente un « ciel étoilé ». Qu’est-ce que la Douat ? Habituellement, ce terme est traduit par monde inférieur ou monde de l’au-delà. C’est là que les âmes des défunts séjournent. Cependant, les TdP restent imprécis sur la nature de ce « monde ». Et n’oublions pas que pour les Égyptiens, il existe trois mondes : la terre, la Douat et le ciel. Un des indices permettant de dire que la salle contenant la momie royale est la Douat est la présence du plafond étoilé.
Comme nous l’avions écrit dans Pharaon n°1 (dossier sur les pyramides), les textes décrivent trois Douat :
- L’aube à l’horizon oriental : quand la lumière de l’aube commence à prendre le pas sur la nuit. L’astre solaire existe à l’aube, mais n’est pas encore totalement né.
- Le ciel diurne : vu comme une Douat céleste d’eau bleue et donnant naissance au firmament au coucher du soleil.
- Douat de l’espace souterrain entre les deux horizons (ceux du lever et du coucher du soleil).
Les textes gravés dans la salle funéraire, et plus précisément ceux derrière le sarcophage, débutent le chemin du roi défunt et sa quête de résurrection. Sur le mur du fond, derrière le sarcophage, nous y trouvons la représentation de la façade du palais et des formules magiques de protection. Tout comme durant le cycle de résurrection du dieu Osiris, les ennemis, mauvais esprits peuvent attaquer le mort, il faut donc lui assurer magiquement une protection.
Sur la paroi de gauche (en entrant dans la salle), nous trouvons les chapitres liés aux offrandes et sur le mur opposé, les rites de résurrection. Et le roi « répond » par les textes gravés au-delà de l’entrée de la salle. D’autre part, le sarcophage lui-même personnifie la déesse Nout. Nout est la déesse de la voûte céleste. Elle est le ciel. Cette tradition de Nout va perdurer jusqu’à l’époque romaine, 2400 ans plus tard…
De l’obscurité à la lumière : le rôle clé de l’antichambre
Si la salle funéraire est la Douat, pour pouvoir revivre et accéder de nouveau à la lumière (= l’aube, le ciel), le roi défunt doit sortir de la Douat. Il doit pour cela franchir les portes de la Douat (le passage entre la chambre funéraire et l’antichambre) comme l’indiquent les textes gravés ici, puis le roi accède à l’Akhet, c'est-à-dire l’horizon, pour atteindre donc le soleil levant, à l’est. C’est là que les deux mondes communiquent. Et c’est l’antichambre qui symbolise l’Akhet, l’horizon.
James Allen, autre éminent spécialiste des TdP, précise dans ses commentaires que le roi défunt prend la forme du ba dans la Douat, mais qu’il devient « akh » dans l’Akhet (explications plus loin dans l’article). Cette transformation dans la progression vers la lumière n’est pas un hasard. Car ces salles sont orientées est-ouest. Le sarcophage vers l’ouest, soleil couchant, mais pour sortir de la Douat, le roi va en direction de l’aube, du soleil levant, donc vers l’est.
Cependant, il reste une étape cruciale à accomplir. Le mort devenu Akh doit maintenant rejoindre le jour, « émerger de Akhet » (dixit les textes de l’antichambre). Et pour ce faire, il doit passer une ultime porte, le passage de l’antichambre vers le couloir sortant en dehors de la pyramide.
D’un corps mort, inerte, le défunt revient à la vie sous la forme de Rê.
Une architecture pensée par les Textes des Pyramides
Ce qui est remarquable est la parfaite union entre l’organisation des salles de la pyramide et des textes. Cela fait dire aux égyptologues que les architectes ont agencé les différentes pièces selon la progression du roi défunt et des textes. Et finalement, les deux sont indissociables.
Les TdP n’apparaissent pas subitement sous le règne d’Ounas, mais résultent d’un long processus de réflexion, de rédaction qui a pris plusieurs siècles. Mais ces textes n’étaient pas destinés à une personne précise, ils étaient impersonnels. Cette caractéristique se vérifie sur les parois de la pyramide d’Ounas montrant les nombreuses corrections réalisées après les gravures sur la roche. Ainsi, plus de 160 corrections furent apportées sur l’ensemble des textes gravés : du simple mot à des paragraphes entiers. Parfois le nom du roi Ounas fut rajouté, en lieu et place, du mot « roi ». Est-ce à dire que les TdP étaient impersonnels sans personnalisation pour un roi précis ?
L’énigme de la salle aux trois niches
Une salle manque dans notre description : la salle située à gauche de l’antichambre. Fait-elle partie du long processus de résurrection du pharaon défunt ? Comment s’inscrit-elle dans les TdP et l’architecture de la pyramide ?
Cette pièce que l’on retrouve souvent dans les pyramides à textes ne comporte pas d’inscription. Bernard Mathieu a repris l’étude de cette pièce si particulière avec trois niches aménagées dans le mur du fond. Comme le note l’égyptologue français, James Allen dans son analyse des TdP n’indique pas cette étrange salle. Mais dans ce cas, il manque un élément que l’on retrouve souvent dans les tombes de l’Ancien Empire : le serdab. Le serdab contient la statue du défunt. Il est la demeure du ka.
Le ka est une notion difficile à définir. Pour l’Égyptien ancien, l’Homme se composait de plusieurs entités :
- le corps ;
- le double ou force de vie (le ka) ;
- l'esprit du corps ;
- l'ombre ;
- l'âme du corps (le ba) ;
- le coeur (ib).
Le ka est en quelque sorte le réceptacle des forces vitales d’une personne. Vous l’aurez compris, le serdab n’est donc pas une pièce funéraire anodine. Elle possède une énergie vitale pour la résurrection du mort lorsque le ka s’unit au ba pour reformer l’Homme (= le défunt) avant de rejoindre la lumière. Et souvenons-nous que le ba résidait dans la salle funéraire contenant la momie.
B. Mathieu a repris scrupuleusement les textes de la pyramide d’Ounas pour tenter de comprendre la fonction de cette salle vierge de toute inscription. Était-ce le serdab tant recherché ? Les textes fournissaient un indice pour le moins déroutant : le pharaon mort sort de la chambre funéraire (Douat) pour atteindre l’Horizon (antichambre) et de rejoindre de nouveau la Douat (qui n’est pas la chambre funéraire). Le texte dit : « ils l’emmèneront vers la Douat ». Si on relit la phrase, il y a un problème : pourquoi le roi défunt sortant de la Douat retournerait dans la Douat ?
Bernard Mathieu s’est longuement interrogé sur cette bizarrerie. La solution viendrait, pour lui, de la salle aux trois niches qui serait identifiable au serdab. En fait, le défunt, avant de rejoindre le Ciel par le couloir d’accès de la pyramide, doit retourner dans une autre région de la Douat située à l’est (3) et assimilable à la tombe secrète, cachée, d’Osiris. D’autre part, cette salle aurait pour nom, un des noms pour être plus précis, la « silencieuse ». D’où l’absence de textes gravés.
Cependant, une énigme demeure : pourquoi trois niches ? À cette épineuse question, Bernard Mathieu hésite. Il ne semble pas que des statues du roi aient occupé ces vides. Par contre, trois formes du dieu Horus vivent dans l’est de la Douat… Ou faut-il y voir la conception tripartite du jugement divin (ici en référence au jugement de l’âme du défunt sous le regard d’Osiris et en cas d’échec, celle-ci est dévorée par un monstre) ? Une fois les dernières épreuves passées, le défunt retourne dans l’antichambre pour retrouver la lumière par le couloir d’accès de la pyramide. Ainsi le cycle se termine avec succès.
Sortir au jour
Pour conclure, nous avons repris le véritable titre égyptien du livre funéraire que nous appelons, par erreur, le Livre des morts, qui est lui-même un héritier des Textes des Sarcophages du Moyen Empire, lui-même héritier des Textes des Pyramides. Les tombes royales du Nouvel Empire constituent aussi des générateurs à résurrection et l’union entre architecture et texte funéraire y est particulièrement importante. Nous avons vu dans cet article comment comprendre, décrypter une architecture pharaonique par les textes et l’orientation géographique.
Bibliographie
Bernard Mathieu, « La signification du serdab dans la pyramide d’Ounas », « L’architecture des appartements funéraires royaux à la lumière des Textes des Pyramides », in C. Berger, B. Mathieu (éd.), Études sur l’Ancien Empire et la nécropole de Saqqâra dédiées à Jean-Philippe Lauer, OrMonsp 9/2, Montpellier, 1997, p. 289-304.
James Allen, « Reading a Pyramid », in collectif, Hommages à Jean Leclant, volume 1, Le Caire, 1994, p. 5-28.
Bernard Mathieu, « Modifications de texte dans la pyramide d’Ounas », in collectif, BIFAO 96, Le Caire, 1996, p. 289-311.
Mark Lehner, The complete Pyramids, Thames & Hudson, 1997.
Notes
1) Les reines bénéficieront de ces mêmes textes à partir du règne de Pépi II. Avant, les tombes des reines restent vierges d’inscriptions. La population ne bénéficie pas de textes funéraires jusqu’au Nouvel Empire avec le Livre des Morts.
2) Une pyramide à textes est une pyramide qui contient les Textes des pyramides. Les grandes pyramides de Guizeh n’en possèdent pas. La première est celle du roi Ounas. Ces textes seront utilisés dans les tombes jusqu’au Moyen Empire.
3) La Douat se compose de plusieurs régions que le mort peut et doit atteindre durant son périple dans le monde de l’au-delà.
Commentaires
Publier un nouveau commentaire