Parmi tous les rituels de l’ancienne Egypte, un des plus connus, est sans doute, l’ouverture de la bouche, acte hautement symbolique qu’un prêtre pratique avec un instrument. Magiquement, il redonne la parole, l’ouïe, l’odorat et la vue au défunt afin qu’il puisse accomplir son périple dangereux avant d’accéder au royaume des morts.
Par François Tonic (article publié dans Pharaon Magazine n°5, extrait, PDF disponible dans notre boutique en ligne))
Contrairement à une idée reçue, l’ouverture de la bouche se dit plus exactement rituel de l’ouverture de la bouche et des yeux. Si nous retrouvons ce rituel très développé au Nouvel Empire, des formules liées à cette cérémonie se retrouvent 1000 ans plus tôt dans les Textes des Pyramides et peut être faut-il chercher les origines de l’ouverture de la bouche durant la période prédynastique, avant le règne du roi Narmer (vers 3150 av. JC). Les dernières illustrations perdureront jusqu’à l’époque romaine !
Nous connaissons ce rite par la scène la plus fameuse : un prêtre touche la bouche avec un instrument, une herminette. Mais en réalité, il ne s’agit là que de l’acte final d’un rite complexe et long. Les chercheurs considèrent qu’il existait 75 scènes de ce rite même si, comme le note l’Allemand Jan Assman, aucun document, aucune tombe, ne fournit ces 75 chapitres, le récit le plus complet en possède une cinquantaine !
Les 75 épisodes se structurent ainsi :
1 – 9 : préliminaire
10 – 22 : animation (de la statue du défunt)
23 – 46 : « offrandes » de nourritures
47-71 : nourritures funéraires
72-75 : clôture du rite
Un double rite
L’ouverture de la bouche se pratique aussi bien sur la momie du défunt que sur sa statue. Cette statue joue en quelque sorte le rôle du double du défunt (= son ka) placé dans la tombe. Le rituel va concerner en premier cette statue soit dans la tombe, soit dans le lieu de création de la statue. La statue, par ce rite, va pouvoir s’animer. L’usage de cette cérémonie sur la momie semble intervenir plus tard, au début du Nouvel Empire ( ?). La statue (= le défunt) subit différentes purifications (eau, encens…). Certaines tombes montrent parfaitement ces scènes sur la statue du mort. Il faut en réalité que la statue ressemble au défunt, au moins symboliquement. Et le prêtre qui effectue les rites s’en assure et les formules prononcées assurent de cette ressemblance, n’oubliez pas que la statue doit être le double du défunt, elle doit prendre vie (= s’animer).
Jean-Claude Goyon[1] précise que les premières attestations de l’ouverture de la bouche sur des statues royales remontent au roi Chéops (vers 2600 av. JC). Pour l’égyptologue français, il s’agit de «… célébrer l’achèvement heureux d’une statue royale ou divine, de l’animer par des passes magiques… ». D’autre part, et avec raison, J-C Goyon distingue deux rites : l’animation de la statue (magique), l’animation du cadavre (funéraire). Ce sont ces deux rites qui vont « fusionner » durant le Nouvel Empire.
La cérémonie devant la tombe
Sur les décors des tombes du Nouvel Empire et sur les vignettes décorées des papyrus du Livre des Mort, l’ouverture de la bouche se déroule toujours dans l’entrée de la tombe. Ce n’est pas un hasard. Et cette pratique évolue durant cette période. Les textes évoquent régulièrement « la maison de l’or ». Il s’agit d’un atelier attenant d’un temple où étaient confectionnés les statues, les objets du culte. Les rites sur la statue pouvaient s’y dérouler.
Tout d’abord la momie, une fois le cortège funèbre arrivé à la tombe, est déposée debout devant la sépulture. Elle est donc sortie du cercueil. Les textes précisent que le visage du mort doit être orienté au sud. Cette orientation est due à la densité solaire à une certaine heure de la journée, et cette intensité joue un rôle dans le culte solaire. La momie doit être mise devant Rê. Et il semble que l’omniprésence du culte solaire à partir de la fin de la 18e dynastie (vers 1320 – 1300 av. JC), modifie le rite de l’ouverture de la bouche (qui se déroule désormais dans la tombe du mort) et surtout il provoque un agencement plus précis de la tombe.
La momie est désormais dressée non plus devant la tombe mais dans la cour de la tombe. Celle-ci est peu à peu séparée, protégée du monde mortel, du monde impur, par un mur. Jan Assman rappelle que dans le chapitre 222 des Textes des Pyramides, nous retrouvons le même procédé : la momie est dressée devant le soleil.
Régulièrement, nous voyons non pas une mais deux momies, le défunt et son épouse. Que l’on ne s’y trompe pas. Il peut arriver que les époux meurent en même temps mais ici, il faut y voir dans la femme du défunt, sa préparation, à l’avance, aux rites de la vie après la mort mais surtout que la femme joue le rôle de la déesse Isis. Cette personnification se comprend car le défunt devient un Osiris et Isis est son épouse…
Une offrande mal comprise ?
Si nous nous focalisons sur l’ouverture de la bouche en elle-même, un des passages les plus importants est celui du cuisseau et du cœur d’un veau offerts, encore chauds, à la momie, à la statue du défunt. On lira souvent qu’il s’agit ici d’une offrande de nourriture. Or, Jan Assman, qui a repris le dossier, s’oppose vigoureusement à cette (mauvaise) interprétation. Le prêtre ne présente pas le cuisseau et le cœur en offrande mais en rite de l’ouverture de la bouche ! Le chercheur allemand rappelle, avec raison, que la forme du cuisseau, et son hiéroglyphe, ressemble à une herminette, utilisée par les prêtres.
Cette « offrande » est tout de même cruelle car les bouchers coupent le cuisseau sur un veau vivant, puis prennent le cœur (pas toujours). Surtout, cela se déroule avec la vache à proximité, provoquant ses cris, tandis que le prêtre présente au visage du mort, cette « nourriture » encore chaude. Pour Assman, il est important que le cuisseau et le cœur soient chauds car ils aident à rendre vie, à animer le défunt, juste avant l’usage de l’herminette…
Redonner vie ou aider le mort dans les épreuves ?
Le rite de l’ouverture de la bouche joue donc un rôle central dans le Livre des morts et dans les décors funéraires du Nouvel Empire. Ce rite permet de préparer, d’animer le défunt pour sa future vie et pour qu’il puisse passer, avec succès, les épreuves (tribunal de l’au-delà, le passage des gardiens des portes, la pesée de l’âme). Car elles obligent le défunt à parler, à entendre, à voir. Magiquement, le prêtre lui redonne les cinq sens.
Bibliographie
Jan Assman, mort et au-delà dans l’Egypte ancienne, éditions du Rocher, 2003
J-C Goyon, rituels funéraires de l’ancienne Egypte, Les éditions du Cerf, 2004
[1] J-C Goyon, rituels funéraires de l’ancienne Egypte, Les éditions du Cerf, 2004, p89 et suivantes
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