Avec l’œil oudjat, la croix Ankh, le sceptre séthien, le pilier Djed figure comme un des symboles les plus connus de l’ancienne Égypte. Reconnaissable immédiatement par sa forme, le Djed n’en est pas moins déroutant et obscur quant à ses origines, ses réelles fonctions.
Par François Tonic, article publié dans Toutankhamon Magazine
Dans le Dictionnaire de la civilisation égyptienne (sous la direction de Posener), le Djed est « une sorte de fétiche préhistorique de nature encore mal définie qui figurait peut-être un arbre ébranché ou un pieu tailladé et jouait un rôle dans des rites agricoles… ». Dans le Dictionnaire des dieux égyptiens, J-P Cortegiani indique que « malgré le goût souvent attesté des anciens Égyptiens pour les gloses, aucun texte antique n’explique la nature exacte de l’objet que nous appelons pilier Djed… ». Et voilà tout notre problème encore aujourd’hui. Qu’est-ce que Djed ?
Trois hypothèses reviennent pour expliquer sa forme, un peu étrange :
- un arbre, un pieu :
- une gerbe de céréales :
- l’évocation d’une colonne vertébrale, l’épine dorsale d’un bovidé.
Tout ce que l’on peut dire est que le Djed apparaît avant le début de la civilisation pharaonique, soit avant la dynastie 0. Nous ne savons pas quand, ni où. La fonction originelle de l’objet (ou fétiche) reste inconnue, elle est peut-être liée à l’agriculture. Il semble que l’origine du pilier soit à situer quelque part dans le Delta égyptien ou du côté de Memphis (au sud du Caire actuel). Cependant, il est bien difficile d’être plus précis. Nous savons toutefois que sa relation avec Osiris, Sokar, dieux des morts très importants dès le début de l’histoire, remonte au début de la civilisation égyptienne. D’où l’assimilation du Djed à la colonne vertébrale d’Osiris comme nous le verrons plus loin, tout comme la cérémonie dans laquelle on dressait un grand Djed, rite ancien provenant peut-être du Delta et plus précisément de la ville de Busiris. Sauf que des traces du Djed se retrouvent aussi au sud à Hiérakonpolis, une des plus importantes villes de Haute Égypte vers 4000-3300 av. J.-C. Nous trouvons des représentations du pilier dans des tombes de la 1re dynastie dans l’immense cimetière d’Helwan, au sud du Caire actuel, sans que l’on puisse y associer dès cette date Osiris.
À Denderah, dans les chapelles osiriennes du toit du temple, on trouve l’Osiris de Busiris. Cette représentation est très particulière car on y voit une végétation dense, notamment un arbre, et les textes font références au Djed. Peut-on alors assimiler l’arbre de l’Osiris de Busiris au Djed ?
La composition du Djed
1) Base rectangulaire sur laquelle se dresse le pilier.
2) « Tronc » du pilier, inscrit ou non de texte, représentant ou non une colonne vertébrale.
3) Quatre bandes horizontales serrées comme pour une gerbe de céréales.
4) Quatre « barres » horizontale dépassent du « tronc » ; entre chaque barre, des traits verticaux se distinguent parfaitement. Le tout peut être surmonté, sur certaines amulettes tardives, d’une couronne ou d’un petit chapeau arrondi.
La forme générale est une forme évasée à la base se rétrécissant puis s’élargissant de nouveau au sommet.
Photo : Neithsabes (travail personnel / Casio EX-S500)
Une évolution dans le rôle du Djed
Au départ, les chercheurs y voyaient un symbole de fertilité (des terres ?). Mais sa présence en élément architectural dans le complexe funéraire du roi Djoser à Saqqarah a fait dire à d’autres qu’il s’agissait d’un symbole du pouvoir royal, un symbole de stabilité, voire de l’Univers. Mais il pourrait être aussi un lointain souvenir des premiers temples archaïques égyptiens, reste à savoir si cela est par rapport à un élément architectural ou comme « fétiche ».
Djed comme support du ciel fut aussi parfois évoqué, notamment à cause des quatre éléments horizontaux du haut qui pourrait rappeler ici les 4 fils d’Horus, aussi assimilés aux quatre piliers du ciel. Et Djed est souvent représenté sur les coffres à canopes servant à contenir les vases canopes (eux-mêmes rappelant les 4 fils d’Horus). En 1995, l’égyptologue Park proposa que les piliers Djed de la première salle du complexe d’Osiris du temple de Séthy I à Abydos marquaient les équinoxes de printemps et d’automne. À notre connaissance, cette théorie reste marginalisée…
Djed et son rôle osirien
Son lien avec Osiris, voire Sokar, dieu des morts et un des plus anciens dieux d’Égypte, ne semble pas discutable aujourd’hui. Reste à savoir où, quand, comment, pourquoi. La colonne vertébrale que l’on retrouve sur des représentations, souvent tardives (1er millénaire av. J.-C.) serait alors celle du dieu Osiris. L’érection du pilier Djed durant les très importantes fêtes du mois de Khoiak (le 30e jour) serait en relation avec la création de la première momie lorsque le corps du dieu déchiqueté par Seth est reconstitué. L’érection pourra alors ressembler à une sorte de « régénération » du dieu.
Cette idée se confirme avec les rites du mois de Khoiak et du rôle joué par le pilier Djed. Symboliquement, chaque année, le roi, les prêtres, renouvellent les forces divines, et « redonnent » naissance au dieu, par la même occasion, à la nature, à l’Univers, en créant un nouvel équilibre. Nous pouvons admirer l’érection du pilier à Abydos ou encore dans la tombe de Kherouef à Thèbes Ouest (Assassif, Louxor) lors des grandes fêtes du heb-sed ou fête de régénération du roi après 30 ans de règne.
Djed est aussi régulièrement mentionné, cité dans les plus importants textes funéraires de l’Égypte, et ce, dès les Textes des Pyramides, qui eux-mêmes résultent d’une longue tradition orale, perdue depuis longtemps. Il est là encore lié à la mort, à Osiris.
Enfin, Djed se retrouve souvent en amulette. Il possède alors un pouvoir magique de protection. Elle devient banale à l’époque tardive. Mais cette amulette est souvent réalisée en or, en référence au soleil pour symboliser la lumière mais aussi la chair des dieux. Cependant, il n’est pas rare de voir des Djed bleus ou verts, symbole de régénération, de renaissance. Bref le Djed, par les amulettes, révèlent une double nature : divine (colonne vertébrale du dieu, chair divine) et régénératrice (pouvant alors venir de sa première « fonction » préhistorique).
En guise de conclusion, citons cette phrase de l’égyptologue Erik Hornung, grand spécialiste de la religion égyptienne : « derrière des symboles comme Djed et Oudjat se cachent des mythes que l’on pourrait exposer de manière plus ou complète sans jamais les circonscrire » (L’esprit du temps des pharaons).
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