Au cœur de ce que l’on appelle aujourd’hui le Vieux Caire (Old Cairo), deux sites tiennent une place à part dans l’histoire égyptienne antique mais aussi arabe : Babylone et Fustât. Aujourd’hui, Fustât, la première capitale arabe d’Égypte, ressemble à un terrain vague, mais les apparences sont trompeuses.
Par François Tonic
L’histoire de Fustât débute lorsque ’Amr ibn al-’As, général arabe à la tête d’une vaste armée, prend la forteresse de Babylone (que l’on appelle « Babylone du Caire ») que les Byzantins occupaient depuis la séparation de l’empire romain en deux empires : celui d’Occident (Rome) et celui d’Orient (Byzance). La Babylone du Caire était la forteresse surveillant les communications entre le Delta et le sud du pays. Un verrou stratégique que les Perses avaient parfaitement compris car ce sont eux qui vont construire la première place forte que les Romains reprendront et agrandiront. Aujourd’hui, la Babylone se situe au nord du quartier copte, à peu de distance de la Citadelle et en « face » de l’île de Rhoda. Le Caire fut fondé plus au nord pour se distinguer de Fustât. À l’apogée de son existence, Fustât occupa environ 800 hectares. Il ne faut pas oublier que Le Caire, la capitale actuelle de l’Égypte ne fut fondée qu’au 10e siècle. Jusqu’à cette date, Fustât demeurera la capitale, et l’abandon définitif ne se fera que deux siècles après la fondation du Caire.
Un violent incendie ravagea en 750 une partie de Fustât. Son origine se trouve dans la fuite du dernier calife omeyyade. Cela n’empêcha pas la cité de continuer à s’étendre, à vivre. Cependant, le quartier omeyyade détruit laissa place à un immense cimetière ainsi qu’un grand aqueduc pour alimenter la cité en eau. C’est aussi à cette époque que remontent les anciennes mosquées de la région.
La légende de Fustât
Fustât débute son existence dans les années 640-642 lorsque les Byzantins plient sous les armes de ’Amr ibn al-’As. La Babylone du Caire était une importante forteresse romaine dont les vestiges s’admirent toujours. C’est à peu de distance de ce camp romain que les Arabes, à l’abri des crues du Nil, vont fonder et bâtir Fustât. Fustât signifie « grande tente » ou « pavillon ». Car lorsque ’Amr ibn al-’As s’installe sur la future cité, il fit planter une grande tente. La tradition veut que le lieu fut choisi par un oiseau mais plus sûrement par la position du site : hors de portée de l’inondation du Nil mais assez proche pour y installer un grand port fluvial. Cette légende est en partie véridique car l’archéologie a permis de mieux comprendre, tout le moins partiellement, la création de la ville et son développement.
Fondation et évolution de la ville nouvelle
La position immédiatement au nord de Babylone a sans doute été choisie durant le siège de la forteresse. Ce fut aussi un choix non pas uniquement de ’Amr ibn al-’As mais aussi du calife. Nous sommes là à quelques centaines de mètres de la place forte avec un accès direct au Nil mais en hauteur afin d’éviter la crue du fleuve. Si la tente a sans doute existé, il s’agissait là d’un mode d’habitat des tribus arabes de la péninsule arabique. Or, l’armée menée par ’Amr ibn al-’As était constituée de diverses tribus arabiques.
Fustât se divise en khittas. Ce sont des « territoires » distribués aux tribus dans les cités du début de la période islamique (7e siècle de notre ère). Fustât s’articule autour de ces khittas qui évoluent avec le temps, avec parfois des changements de khittas pour les tribus. La ville se segmente en « arrondissements » : Ahl Ar-Raya, Al-Hamra Ad-Dunia… Ils se trouvaient plutôt à la périphérie, le cœur de la cité étant constitué d’un dense réseau routier dans et entre les khittas. La Babylone chrétienne, et plus au nord, la colline du Moqattam, le resta et les nouveaux maîtres de l’Égypte eurent une politique de tolérance religieuse assez grande envers les différentes communautés. Les Coptes purent aussi bâtir de nouvelles églises. Le cœur de la ville se situait sur les hauteurs de Fustât, et non au bord du fleuve, même si un port et un pont reliaient l’importante île de Rhoda et la rive gauche, Fustât se trouvant sur la rive droite du Nil. Une partie des khittas se situait dans les zones touchées par l’inondation.
Durant les décennies suivant la création de la ville, la population s’agrandit et le tissu urbain s’intensifia parallèlement même si nous ne connaissons pas toujours les limites des khittas. Un réseau de rues et ruelles assez dense est aujourd’hui connu grâce à l’archéologie. Et l’activité économique de Fustât devait être dynamique. D’autre part, le cœur administratif était sans doute situé au centre de la ville, près du lieu « historique » de sa fondation.
Si, au départ, la ville se caractérise pour l’aspect tribal comme nous venons de le voir, cela change avec le temps et notamment grâce aux contacts avec les populations locales (Byzantins, Nubiens, marchands, Coptes), sédentaires. Les Arabes vont peu à peu se sédentariser.
Une architecture contrastée
Nous ne savons pas exactement quelle l’architecture fut utilisée par les nouveaux conquérants à Fustât : existe-t-il dès 640-642 des édifices en dur (briques, pierres) ou uniquement des tentes nomades, ou alors un habitat mixte ? L’unique référence que l’on retrouve dans les textes est la tente de ’Amr ibn al-’As mais les textes anciens et ceux des chroniqueurs arabes ne sont pas toujours très fiables. Cependant, il semble que dès 644, les premières constructions permanentes existèrent.
Deux édifices datant vraisemblablement des premières années sont importants pour l’architecture arabe de Fustât : la forteresse de al-Djisa (rive gauche du Nil), et surtout la mosquée Amr, à peu de distance de la Babylone. Cette mosquée reprend un plan simple dont l’origine exacte reste à définir. Par contre, pour la forteresse de al-Djisa, les quelques éléments dont on dispose montrent que les Arabes reprirent l’architecture militaire romaine et byzantine.
Un site archéologique menacé
Comme tant d’autres sites égyptiens, Fustât, rappelons-le, immense zone coincée entre le quartier copte et la Citadelle, connaît des problèmes de préservation. Régulièrement, des constructions illégales empiètent sur le site, détruisant les vestiges. Un mur de protection a été construit pour empêcher cela, mais il n’englobe pas l’ensemble du site. Et les travaux autour de Fustât sont nombreux, risquant de temps en temps de déborder sur la zone archéologique, sans oublier les décharges visibles à certaines extrémités, les remontées des nappes phréatiques.
Espérons que ce lieu, délaissé par 99,99% des touristes, et ouvert au public excepté le vendredi, bénéficie d’un vaste plan de sauvegarde. Car c’est finalement les débuts de l’Égypte islamique qui s’inscrivent dans la terre.
Pour aller plus loin
Wladyslaw B. Kubiak, Al-Fustât, AUC Press, 1987.
/// Note ///
1) De nombreuses orthographes sont possibles, l’une des plus utilisées est Fustût ou Fostât.
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