Une des plus énigmatiques constructions de toute l’Égypte pharaonique se situe dans la région d’Helwan, dans la grande banlieue sud du Caire, au cœur des immenses carrières antiques et modernes, dans un des nombreux ouadis débouchant sur la vallée du Nil. Sadd al-Kafara n’est sans doute pas le plus ancien barrage mais le plus vaste, le plus imposant en pierre. Des vestiges à Jawa (Jordanie) remonteraient aux alentours de 3000 av. J.-C.
(photos couleurs : © françois tonic)
Surnommé le barrage des infidèles, Sadd al-Kafara est une construction étonnante et serait le plus vieux barrage du monde construit en pierre. Il date entre 2900-2600 av. J.-C. Sa découverte fut réalisée par un Allemand, Scheinfurth, en 1885 seulement. Mais l’éloignement et le désintérêt de la construction le laissèrent à l’abandon. Il faut attendre les quelques mentions du Français Bénédite (1909) et les quelques indications de Jean Clédat en 1921 dans le Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale pour rappeler son existence. Et il faut attendre 1947 et une expédition menée par Murray pour trouver les premiers relevés complets (mesures, architecture, topographies). Mais cet engouement s’arrête net. Ce n’est qu’en 1987 que l’hydrologue allemand Gunther Garbrecht « ressuscite » le site et marque un intérêt certain dans l’étude des anciens barrages. Quelques années plus tard, Gunther Dreyer, égyptologue lui aussi allemand, fit une brève visite sur le site du barrage. Nous avons eu la chance d’aller sur place et de l’examiner en juillet 2007.
Jamais en 124 ans les chercheurs n’ont pu répondre à cette question : qui l’a construit et pourquoi dans un site aussi isolé ?
Tentatives de datation
L’absence de fouilles archéologiques nous prive de toute datation précise. Nous savons tout de même par l’archéologie que la zone du barrage, le Wadi al-Garawi, fournit très tôt de la pierre pour les monuments et le façonnage d’objet. Les premières activités de carrières remontent à la période prédynastique (dès 3500-3000 av. J.-C.) et celles-ci continuent à être exploitées durant les premières dynasties pharaoniques.
Nous ne connaissons aucun dépôt de fondation, ou indice matériel pouvant préciser une chronologique. La fourchette prise va souvent de 2900 à 2600 av. J.-C. Mais Garbrecht estime que Sadd al-Kafara remonte à 2900, voire à 2950 av. J.-C., soit à la fin de 1re dynastie, au début de la 2e.
Une architecture typique
Sadd al-Kafara, comme tout barrage, est construit entre les deux flancs du ouadi, le ouadi est un grand lit desséché. Il aurait fallu plus de 100 000 m3 de matériaux pour bâtir le barrage. Nous ne savons pas d’où viennent ces matériaux mais il est plus que plus probable qu’ils proviennent des carrières voisines. Cela représente toute de même une masse de pierre non négligeable !
Sadd al-Kafara, en chiffres, c’est :
- 106 mètres de long au sommet, 80 mètres à la base ;
- environ 15 mètres de hauteur ;
- 84 mètres d’épaisseur à la base, 62 au sommet.
La structure du monument mérite d’être mentionnée. Elle se compose non pas d’une unique section massive mais de 5 « compartiments ». Le cœur du barrage se compose d’un simple remplissage (large de 36 mètres) de pierres grossières, de déchets de carrières. Pour maintenir cet amas hétérogène, mais soigneusement tassé et compacté, deux épais murs de 13 mètres d’épaisseur de chaque côté sont dressés. Puis les architectes ont fait poser ce que l’on appelle un parement, à chaque côté du barrage. Ce parement, réalisé en pierre taillée et soigneusement ajusté, est conçu en assise superposée comme sur une pyramide. Ces parements ont une forme trapézoïdale permettant de résister à la pression de la pierre et de l’eau.
La qualité de l’architecture démontre la maîtrise de la construction en pierre sur une grande échelle dès cette époque en Égypte. Ce qui fait de Sadd al-Kafara l’un des plus vieux monuments en pierre d’Égypte, voire le plus ancien.
Fonction et emplacement
Pourquoi un barrage ici, au cœur d’un ouadi relativement éloigné du Nil et de vallées fertiles (situées à environ 20-25 kilomètres même si le Nil s’est déplacé avec le temps). Cette construction avait certainement une utilité, car les Égyptiens ne construisaient rien au hasard.
La fonction du barrage semble claire : retenir les eaux des pluies torrentielles provenant des ouadis situés plus loin à l’est en direction de la mer Rouge et qui représentaient une menace certaine. Sadd al-Kafara servait-il de retenue d’eau de protection ou fournissait-il de l’eau ?
Une des hypothèses serait que la retenue d’eau, ponctuelle, car les pluies torrentielles sont rares en cette région, ait servi de réservoir à une agriculture voisine. Or, l’archéologie de cette zone n’a pas découvert de traces de canaux d’irrigation ou de cultures agricoles anciennes. Cette eau servait-elle aux carriers travaillant à proximité ? Hypothèse possible.
Autre hypothèse, Sadd al-Kafara servait à protéger des constructions situées en bordure de la vallée du Nil, à l’ouest du barrage, au débouché du Wadi al-Garawi. Mais quelles constructions ? Un palais, une ville, un temple ? Ou pourquoi pas une nécropole ? Dans l’état actuel de nos connaissances, impossible de le savoir, mais il semble que le Wadi al-Garawi soit riche en vestiges archéologiques et notamment en nécropoles comme nous l’ont confié nos guides locaux. Les quelques explorations en cours montrent effectivement une certaine richesse d’occupation dès la période prédynastique.
Ce chantier colossal pour l’époque nécessita sans doute près d’une décennie. Mais tout semble prouver que le barrage ne fut jamais mis en eau. Il fut en partie détruit par une pluie torrentielle. Les Égyptiens abandonnèrent alors le chantier.
Un monument en danger
Depuis 1947, près de la moitié de Sadd al-Kafara a disparu, faute aux activités des carrières toutes proches, aux fouilles illégales et au manque de travaux de préservation. Le monument est plus que jamais menacé et si rien n’est fait pour le protéger, il disparaîtra purement et simplement sans nous donner les clés de ses énigmes ! Or, ce barrage a été bâti dans ce ouadi pour une raison et il faudrait découvrir laquelle !
Les dernières photos vues et datant de 2010 montrent que le monument a encore perdu environ 30 à 40 % de sa structure. une route pour les camions des carrières toute proche passent sur le lit du barrage et détruit chaque jour un peu plus ce monument méconnu et si important pour l'Histoire de la maitrise de l'eau.
Nous remercions vivement le Cheikh Mahmoud et son équipe ainsi que notre chauffeur, Raafat.
Commentaires
nice photos..thnx.. are they
nice photos..thnx.. are they from 2012 ? ?
Bonjour,Merci pour ces
Bonjour,
Merci pour ces informations qui, malgré tout, datent de 2012. Je suis tombé sur ce barage "par hazard" en faisant des recherches sur le net. Il s'avère que je ne trouve pas plus d'informations que cela sur cette construction et qu'une vidéo ne soit plus diffusée. Auriez-vous des infos nouvelles, le barage est-il miuex préservé, y a-t-il eu des campagnes de fouilles ? Vous même, pourquoi ne pas avoir entreprit de le faire ? Vous semblez connaître des gens qui vous ont permis d'y accéder.
Bien cordialement
Cédric
le monument est plus que
le monument est plus que jamais en danger à cause de l'exploiration moderne, une route passe même au milieu. il disparait peu à peu.
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