Les 23 et 24 juin, un colloque international s’est déroulé à Paris : Voices, images and artefacts of ancient craftsmen/women. L’objet était de parler des artistes, artisans, de matières, d’art durant l’âge du bronze en Égypte, entre 2000 et 1500 av. J.-C. La conférence était organisée par l'IEF-Marie Curie, l'EPHE (section des sciences historiques et philologiques) et l'Université de Pise.
Le colloque, dont Pharaon Magazine était partenaire media, s’articulait autour de 2 grandes sections :
1 - la production et les « producteurs »
2 circulation des idées autour des artisans
L’agenda était très chargé durant les 2 jours, avec 16 communications, quasiment toutes en Anglais. Si chaque session devait durer maximum 20 minutes avec les questions, chaque intervention prenait généralement 30 à 40 minutes. Faute de temps, nous n’avons pas pu assister à toutes les présentations, mais voici quelques résumés.
Dimitri Laboury : a contrastive look on middle kingdom artists from a new kingdom vantage view
Le chercheur belge porte un regard sur les artistes du Moyen Empire, mais aussi sur l’artiste en général. Car les artistes égyptiens ont laissé des traces, pas très nombreuses, mais suffisantes pour avoir une idée de leur place dans la société et leur organisation. Finalement, quelle image a l’artiste auprès du reste de la population ? Quelle est sa place sociale ? Un des éléments intéressants du chercheur est la mobilité sociale (limitée, mais qui existait tout de même), le profil de l’artiste et même la considération de l’art par la population. L’artiste a une certaine place sociale même s’il est parfois très difficile de la définir, faute de documents. Nous connaissons des stèles et divers monuments d’artistes, ce qui est un élément du statut social. Un artiste peut se définir par sa compétence, sa maîtrise de l’art. Et il fait incontestablement partie d’une élite, c’est-à-dire une classe sociale élevée. Cependant, hormis quelques exceptions, l’artiste ne fait pas partie de l’élite du pays, mais plus d’une classe moyenne, peut être même la partie basse de la classe moyenne composée de fonctionnaires, propriétaires terriens, de prêtres, d’officiers. Cependant, l’artiste a une place sociologique complexe même s’il possède un rang plus élevé que la masse du peuple.
Dès l’ancien empire, une véritable élite artistique apparaît. D. Laboury compare certains artistes égyptiens aux artistes de la Renaissance qui pouvaient se glorifier dans un tableau ou appartenir à l’élite de sa ville. En Égypte, nous pouvons y voir un parallèle. Mais l’organisation de l’art reste obscure. Il existe clairement un véritable monopole d’État, pour la production royale. Mais qui commande et paie les riches demeures et les tombes richement décorées ? Est-ce l’État ou le fonctionnaire ? Existe-t-il un commerce de l’art, un marché de l’art ? Ce n’est pas très clair. Faut-il distinguer une production officielle (production d’État) et une production « libre » ? Consomme-t-on, achète-t-on de l’art ? Les documents ne sont pas très clairs. De très puissants fonctionnaires se veulent artistes, créateurs. Ainsi, Mererouka, vizir de la 5e dynastie, est représenté en train de peintre un « tableau » représentant les saisons ! L’art est-il pour une certaine élite un moyen de s’affirmer ou est-il juste un plaisir ? Les artistes égyptiens ne signent quasiment jamais une oeuvre. Nous connaissons quelques exemples, mais c’est très rare.
Autre question intéressante : l’artiste était-il mobile ? Se déplace-t-il souvent ?
Dimitri Meeks : Métiers mal connus, outillage et hiéroglyphes
D. Meeks a abordé deux métiers très mal connus et cités dans la satire des métiers. Ce texte glorifie le métier de scribe au détriment des autres. Ces deux métiers sont mentionnés dans de très rares documents et ont suscité beaucoup de débats. Le premier est le « cueilleur de roseaux ». Le chercheur a cherché à démontrer qu’il ne fallait pas restreindre ce métier uniquement à la coupe de roseaux, mais à toutes variétés végétales que l’on pouvait trouver dans des zones marécageuses. Dans la satire des métiers, ce métier n’est pas aimé et tout est fait pour en faire un métier inférieur, mais le statut social du cueilleur n’était peut-être pas aussi inférieur que cela même si le document ne permet pas d’en savoir plus.
Le second métier est le coursier, le marchand. Là encore, ce métier ne se rencontre pas ailleurs. La traduction du terme égyptien a parfois été traduit par « errance, vagabond » cependant, il y a une contradiction : un coursier a une destination, un point de départ et un point d’arrivée, ce qui n’est pas le cas d’un vagabond. Il faut distinguer les deux notions.
D. Meeks poursuit son intervention avec quelques signes hiéroglyphes. Un outil peut avoir de nombreuses variantes dans son signe d’écriture et que l’on peut observer sur les décors. Ainsi, la « perceuse » peut avoir trois formes différentes (et établir ainsi une chronologie de l’outil proprement dit) et qui sont parfaitement reconnaissances. Et dans une tombe de l’ancien empire et une autre du Moyen Empire, le même outil ne sera pas forcément représenté de la même manière.
Haris Procopiou : craftsmen, worships and mobility during the middle bronze age at he Eastern Mediterranean
Cette conférence évoquait essentiellement la Crète, le monde égéen et le Proche-Orient. Un constat est fait depuis longtemps : l’essor d’une production de luxe est indissociable des innovations techniques des 3e et 2e millénaire. Les innovations sont nombreuses : tour de potier, forêt tubulaire, la faïence, etc. Jusqu’à présent, ces innovations étaient considérées comme des transferts technologiques depuis le Proche-Orient et l’Égypte, vers la Crète. Mais il semble bien que la réalité soit bien plus complexe que cela. Et qu’au-delà, il serait même nécessaire de redéfinir la mobilité des artistes et la notion d’atelier.
Ainsi, la chercheuse se demande pourquoi le tour potier n’a été utilisé en Crète plus tôt. Cet outil apparaît très tôt en Égypte, au Proche Orient et en Grèce. Les artisans crétois semblent le connaître, car des poteries tournées ont été retrouvées. L’introduction du tour de potier en Crète est-elle finalement issue d’une innovation locale ou vient-elle d’artisans étrangers installés en Crète ? Il y a incontestablement une question pertinente à comprendre et à résoudre : quelle est la mobilité des artisans durant cette époque et quels échanges existait-il entre artisans ? On constate cependant que ces innovations apparaissent dans un contexte bien précis : le palais, le complexe palatial. Mais on constate aussi qu’une même technique peut apparaître dans plusieurs foyers durant une même période, c’est le cas de la granulation en orfèvrerie et du filigrane.
En Crète, l’archéologue s’est penchée sur la notion d’atelier. Et surprise, l’artisan a besoin de quelques outils, d’ombre, d’eau, de matières premières. Elle parle alors de boîte à outils ! Bref, l’artiste peut être mobile et travaillait n’importe où, ou presque. Durant les fouilles sur des sites crétois, de nombreux « ateliers » ont été découverts, mais il ne s’agit pas d’atelier fixe et spacieux. S’ils ont existé, ils étaient sans doute peu nombreux.
La mobilité des artistes a influencé localement. Ainsi, à Tell Dab’a (Delta du Nil), des fresques crétoises furent découvertes, prouvant la présence d’artistes crétois en Égypte. D’autres exemples sont connus au Proche-Orient. Reste à en comprendre les motivations et le contexte : est-ce uniquement pour une production luxueuse et pour le palais ou est-ce pour exercer librement son talent ?
Commentaires
Publier un nouveau commentaire