article de françois tonic, paru dans Toutankhamon Magazine n°45
Le buste de Néfertiti : la polémique fait rage !
L’affaire du buste de Néfertiti, réclamé par l’Égypte depuis plus de 90 ans, rebondit depuis quelques mois avec la parution du livre de Henri Stierlin, Le buste de Néfertiti une imposture de l’égyptologie ? (Infolio Éditions, 2009). Est-il authentique ? Est-ce un faux ? Ou une expérimentation qui aurait mal tourné ?
Tout débute officiellement le 6 décembre 1912. Borchardt (responsable des fouilles allemandes à Amarna) montre à de royaux visiteurs la plus extraordinaire des trouvailles qu’un ouvrier égyptien, seul selon l’égyptologue, vient tout juste de découvrir. Il s’agit d’un buste intact dépassant légèrement du sol. La description de ces circonstances sera publiée dix ans plus tard. Ce texte de Borchardt est une des clés de l’hypothèse de la manipulation de l’archéologue pour Henri Stierlin car la description qu’en donne Borchardt se révèle incohérente sur de nombreux points comme la position de l’objet à sa découverte, ou encore le croquis montrant sa position d’origine dans l’atelier du génial Thoutmosis, le sculpteur qui donna naissance à tellement de chefs-d’œuvre.
Bizarrement aussi, très peu de photos existent sur ces jours clés qui concernent pourtant un des chefs-d’œuvre de l’art pharaonique. Une petite photo est publiée montrant l’inventeur du buste. Comme le note Henri Stierlin, le buste semble maculé. La question est de savoir s’il a été nettoyé ou non lors de la prise de cette photo. Ce qui étonne c’est le manque d’empressement de Borchardt à publier l’objet. Il se passe plus de dix ans avant les premiers articles. Et pourquoi l’objet se retrouve-t-il chez James Simon à Berlin et non au musée de Berlin, et pourquoi Borchardt refusa-t-il longtemps toute exposition publique du buste et encore plus son entrée au musée ? D’autres arguments pour évoquer une manipulation.
La théorie de la manipulation
Pour Henri Stierlin, Borchardt n’a pas réalisé un faux mais tenté une expérimentation pour reconstituer un exemple d’un buste royal avec les pigments antiques que son équipe avait découverts… Ce serait donc des personnes de cette équipe qui auraient modelé puis peint l’objet. C’est alors que l’affaire aurait échappé à son créateur. Mais alors, pourquoi l’avoir présenté comme une pièce majeure aux visiteurs ? Cette pièce n’étant pas censée exister, il fallait ensuite la faire sortir d’Égypte. D’où son absence sur les listes et les maquillages pour cacher la forfaiture. Puis à Berlin, encore fallait-il éviter toute exposition et publication scientifique, mais Borchardt finit par céder devant les autorités… Tout cela n’explique pas le silence du reste de l’équipe. Et malheureusement, le journal des fouilles d’Amarna, conservé à Berlin, demeure inaccessible. Donne-t-il une clé pour comprendre cette affaire ?
Une sortie d’Égypte incompréhensible
Que le buste soit authentique ou non, la volonté de Borchardt fut bien de le sortir d’Égypte. Nulle part on en trouve trace sur les registres, les listes, lors du partage des objets en 1913. Le partage se réalise sous la supervision de Lefèbvre, un éminent égyptologue français représentant alors le musée égyptien du Caire. Or, il dit ne pas se souvenir du buste… À juste raison, M. Stierlin met en exergue cette incroyable situation. Comment un égyptologue aussi compétent aurait-il attribué un buste intact aux Allemands, en se trompant sur sa valeur et plus grave encore, comment pourrait-il ne plus s’en souvenir ? Les Allemands ont sans aucun doute maquillé le buste de telle façon qu’il était impossible de le prendre pour une pièce majeure, d’où la réaction de l’égyptologue français qui opposa ensuite sa signature sur le procès-verbal du partage.
Mais dès que le buste réapparaît à Berlin, les Égyptiens demandent le rapatriement. Si, au départ, les Allemands refusent, les menaces et les interdictions de fouilles font plier le musée, qui se dit prêt à faire un échange, dès 1925, mais l’arrivée d’Hitler au pouvoir bloque les négociations. Régulièrement, les Égyptiens demandent le retour du buste en Égypte.
Alors, est-ce que oui ou non, le buste est sorti illégalement d’Égypte ? À cette question, nous ne pouvons pas répondre, car les circonstances exactes du partage ne nous sont pas connues. Que s’y est-il réellement passé ? Qu’est-ce que Borchardt a montré au Français ? Oui, il y a doute sur cette journée de 1913, mais la signature de Lefèbvre valide officiellement le partage. Et pour prouver qu’il y a fraude ou tromperie, encore faut-il le démontrer.
Une figuration parfaite de la reine et les indices d’une manipulation
La qualité du buste est exceptionnelle, autant de par sa conservation que par la représentation de la reine : long cou, un visage d’une expression perçante, une coiffe impressionnante, une tiare. Situer le buste dans le règne d’Akhenaton est très difficile. Certains égyptologues le placeraient au début du règne, que l’on appelle règne thébain, lorsque Amenhotep IV / Akhenaton était encore à Thèbes (Louxor moderne) durant les 5 premières années. Thoutmosis l’aurait apporté avec lui à Amarna, la nouvelle capitale.
La lourde et imposante couronne, même si elle paraît un peu disproportionnée par rapport à la tête, ne rompt pas l’équilibre global de l’œuvre et est aussi un attribut courant de Néfertiti. En effet, cette tiare est souvent représentée sur les reliefs et les stèles.
L’œil qui dérange
Un des points délicats est l’absence de l’œil gauche alors que le droit est parfaitement terminé. Cette lacune reste inexplicable. Pour contourner le problème, comme le relève M. Stierlin, on parle du buste comme d’un buste de démonstration, une sorte de tête de réserve pour les artisans pour sculpter les portraits et représenter la reine. Nous connaissons de nombreux exemples de ces « modèles ». Borchardt finit par admettre que l’œil gauche n’a jamais existé alors qu’au début, il cherchait les restes de l’œil dans le sable. L’œil fut-il oublié ? Le buste a-t-il été entièrement terminé ? Est-ce un manque délibéré ? Même si cette lacune dérange, nous ne voyons pas là un argument pour l’hypothèse d’une manipulation de Borchardt.
La forme étonnante des épaules
Voilà sans doute l’élément le plus troublant de l’affaire du buste : les épaules coupées verticalement. Cette forme d’épaule est inusitée en Égypte pharaonique. Ce serait donc un apax, c’est-à-dire un exemple unique. Cependant, il semblerait que le musée de Berlin aurait deux autres exemples d’épaules coupées, mais malheureusement aucune publication n’en a été faite. Toutefois, un apax archéologique ne veut pas dire que ce soit un faux, un objet truqué, même si aucun parallèle ne peut être fait. Malgré tout, il faut admettre que cette coupure des épaules surprend.
La composition interne du buste
Borchardt conclut dans un premier temps que le buste était en calcaire. Henri Stierlin a relevé cette bizarrerie d’analyse : comment Borchardt est-il arrivé à cette conclusion ? En observant le dessous du buste ou les parties ayant perdu du décor ? Mystère.
Nous savons aujourd’hui que le buste se compose en réalité d’un noyau en calcaire sur lequel une épaisse couche de plâtre prend place. Henri Stierlin s’étonne de cette composition. Avec raison car cette pratique est rarement utilisée. Mais nous connaissons des parallèles dans la statuaire égyptienne parfaitement identifiée. Sur ce point, difficile de trancher entre un faux ou une véritable antiquité. Toute datation au carbone 14 est impossible car nous sommes en présence de minéral, donc n’ayant pas de carbone 14.
La question des pigments
Nous savons que l’équipe de fouille découvrit à Amarna des dépôts de pigments intacts. Borchardt aurait eu la possibilité de réaliser son propre buste en utilisant des ingrédients authentiques, impossibles à dater au carbone 14… Les analyses récentes démontrent que les pigments utilisés sont authentiques mais ne disent pas quand le buste a été peint. Cependant, impossible d’utiliser cet argument pour parler d’une imposture archéologique.
Quelle conclusion ?
La lecture du livre d’Henri Stierlin laisse une impression mitigée. Oui, l’auteur apporte un faisceau d’arguments et d’indices pouvant faire penser à un buste moderne, comme les approximations de Borchardt, d’habitude précis et rigoureux, et sa volonté de ne pas exposer en public ce buste. Mais là, deux attitudes peuvent s’expliquer : s’il s’agit de son œuvre, l’égyptologue veut éviter d’être démasqué ; si le buste est authentique, la sortie contestable gênait Borchardt et alors on peut comprendre ses refus et approximations. Finalement, aucun argument n’est décisif excepté deux points en suspens : l’étrange coupe des épaules et l’absence de l’œil.
<<<< interview >>>> + photo h.stierlin.jpg
Questions – Réponses avec Henri Stierlin
Toutmag : La polémique autour du buste de Néfertiti est déjà très ancienne et tout particulièrement sur sa sortie d'Égypte et son arrivée en Égypte, les demandes constantes des Égyptiens et maintenant l'authenticité du buste. On pourrait dire que votre livre arrive au « bon moment » alors que les Égyptiens redoublent d'effort pour réclamer le buste. Et s'il s'agit d'un faux, la demande n'a plus de sens. Avez-vous ressenti cette coïncidence ?
Henri Stierlin : Certes, la polémique n'est pas récente, et je parle des débats suscités dès les opérations de partage des objets découverts (p. 81 ss.), et surtout de la sortie clandestine de l'objet d’Égypte, puis de sa disparition sitôt qu'il est parvenu en Allemagne en 1913. Jusqu'en 1924. Je cherche autant que possible à ne pas parler d'un « faux », car j'arrive à la conclusion qu'il s'agit d'une « maquette » faite pour Borchardt et sollicitée par lui dans un but scientifique. Certes, la demande de restitution par l'Égypte n'a plus de sens si l'on adopte mon point de vue. Il n'en demeure pas moins qu'il est suspect que les négociations aient commencé avant 1933, et que l'on se soit mis d'accord sur l'échange avec des pièces prestigieuses dont on connaît l'existence au musée du Caire (voir pages 85-87), et que seule l'arrivée d'Hitler au pouvoir ait fait capoter l'opération. Les Allemands du musée de Berlin avaient-ils compris, vers 1930, que l'objet n'était pas au-dessus de tout soupçon ?
Toutmag : Avec raison, vous mettez le doigt sur l'historique de la découverte, les incohérences de la découverte, le rapport tardif et le peu de photographies. C'est pour vous un des indices sérieux pour dire que le buste est un faux. La polémique après la sortie du buste d'Égypte n'est-elle pas une des causes de tout cela ? Comment comprenez-vous l'attitude de Borchardt ?
Henri Stierlin : Borchardt a surtout voulu que l'objet échappe au contrôle des experts. Face à des douaniers, il ne pouvait guère craindre une censure. Mais face aux égyptologues (français) du musée du Caire, alors en charge des contrôles sur les questions de fouilles, l'affaire se révélait moins simple. Il a donc choisi de faire sortir le buste a) maquillé et méconnaissable, ou bien b) en passant par la valise diplomatique. Mais en tout cas pas après présentation aux autorités du musée du Caire.
Toutmag : Il est sans difficile de « s'attaquer » à un tel monument de l'art. Comment se sont déroulées vos investigations ?
Henri Stierlin : Mes investigations ont commencé il y a fort longtemps, vers 1967. Mais lorsque Wildung a organisé, en 1983, une exposition au musée de Munich qu'il dirigeait alors, je lui ai soumis mon hypothèse à Genève. Il l'a accueillie avec enthousiasme, ajoutant même des arguments personnels, et acceptant d'écrire la préface de mon essai. Cela dit, comme mentionné ci-dessus, je n'ai jamais eu accès au « journal de fouille » de Borchardt, mais j'ai vu à l'Institut Suisse du Caire (ancien Institut Allemand de Borchardt, NDLR) des documents qui ont, par la suite, disparu des archives, en particulier la photo des deux Princesses de Saxe portant le Buste dans leurs bras...
Toutmag : Parmi vos arguments pour le faux, il y a l'absence de l'oeil, les matériaux utilisés pour modeler le buste, la tiare importante et la coupe des épaules. Vous pointez beaucoup du doigt l'oeil absent, la coupe des épaules. N'existe-t-il aucun parallèle connu et identifié ? Et comment interpréter cela ?
Henri Stierlin : Je ne dirais pas que les matériaux utilisés pour réaliser le buste à Tell el Amarna sont suspects. C'est la mise en oeuvre d'un noyau de pierre revêtu d'une épaisse couche de plâtre qui est inusitée. Elle n'a été choisie ici que pour réaliser plus facilement et plus vite la maquette. Krauss soutient qu'il possède au musée de Berlin des fragments d'un buste – dont on ne connaît pas la provenance et qui n'ont jamais été publiés – qui figureraient un buste aux épaules coupées verticalement. Pas de photos ni de dessins. Rien. Ce serait, outre la Néfertiti, le seul buste connu aux épaules coupées verticalement, sur un total avoisinant 150 bustes pharaoniques. Par ailleurs, l'absence de l'oeil reste, dans la mentalité des artistes égyptiens, totalement inadmissible : l'objet est une manière de « double » du personnage représenté. Un souverain ainsi contrefait, sans oeil gauche, est impensable.
Toutmag : Plusieurs analyses ont été faites depuis quelques décennies et que vous citez avec justesse dans votre ouvrage. Sur les pigments, vous dites avec raison que l'on ne peut pas les dater car ils sont d'origine minérale. Et l'équipe allemande avait découvert des « stocks » de minéraux à Amarna. Si effectivement les pigments ne prouvent pas l'ancienneté de l'objet, ce n'est pas pour autant qu'ils indiquent un faux. L'argument peut aller dans les deux sens, comment alors trouver le bon sens ?
Henri Stierlin : Jamais les pigments authentiques qui ont été trouvés dans la fouille n'ont pu « indiquer qu'il s'agissait d'un faux ». Tout au plus permettent-ils de postuler que Borchardt disposait de matériaux pour réaliser une polychromie à la manière de l'authentique. Non, l'argument ne permet que de comprendre comment on peut trouver une polychromie « à l'ancienne » sur un objet neuf.
Toutmag : À votre connaissance, le buste possède-t-il une patine qui aurait pu clore le débat ?
Henri Stierlin : Non, on ne constate pas la présence d'une patine. C'est d'ailleurs la première chose qu'apprennent à faire les véritables faussaires... Or nous n'avons pas affaire à un « faux ».
Toutmag : Il y a déjà de nombreux mois, la chaîne franco-allemande avait diffusé un documentaire sur le double parfait du buste réalisé par les Nazis. Et le cafouillage lorsque les Américains découvrirent des caches d'objets d'art possédant les deux bustes... Quel est votre avis sur cela ?
Henri Stierlin : Concernant l'émission dont vous parlez, je ne l'ai pas vue. Mais il est exact qu'il existait, assez tôt, avant 1920 semble-t-il, un ou deux doubles, moulages à l'identique, du buste.
Toutmag : Avec le recul, comment jugez-vous l'accueil du livre ? Cela va-t-il relancer une étude exhaustive du buste ?
Henri Stierlin : C'est l'utilisation du buste comme objet phare du nouveau musée de Berlin qui relance l'actualité de la question sur l'authenticité. J'ai simplement tenté d'expliquer la genèse de l'objet qui fait polémique pour mettre en garde le public et les spécialistes.
Commentaires
Je trouve que lorsqu'on est
les égyptiens réalisaient des
les égyptiens réalisaient des visages à la perfection mais apparamment ils ne savaient pas sculpter les oreilles qui devraient être brisées plutôt que boursoufflées, personne n'en parle.curieux non?
Pour moi, le buste de
Pour moi, le buste de Néfertiti est un vrai. En effet, si on était en présence d'un faux pourquoi le musée égyptien du caire veut à tout prix le récupérer et pourquoi celui de berlin ne veut pas le rendre ? De plus, il s'appuie sur le fait que le buste de Néfertiti a été retrouvé à côté de celui d'Akhénaton et que ce dernier était cassé. Mais, il est peut être tombé après celui d'Akhénaton dans ce cas, dans le sable. Il est donc impossible alors qu'il se soit cassé. Pour l'oeil manquant, soit le buste n'a pas était fini soit, il a été enlevé pour une raison inconnue : retrouvons l'oeil et nous percerons le mystère de Néfertiti. Certaines choses n'ont pas d'explication et c'est comme ça. Pour moi, Henri Stierling a tort et il s'attaque a un " symbole" de l'art amarnien (et ou égyptien ).
Friederike Seyfried -
Friederike Seyfried - Directrice du musée égyptien de Berlin sur TV Arte le 24 août 2012. " Il n'existe pas un musée au monde qui n'ait pas un faux." http://www.reproduction-tableau-art.com/citations.htm
et ne loupez pas notre
et ne loupez pas notre article dans le hors série n°5 les pharaons maudits !!!!
Je vous envoie dans une
Je vous envoie dans une semain une dissertation concernant le bust de Nefertiti, prouvant 100% qu'il est un faux. Les CT scans l'ont prouve.
Edgard Mansoor
" Il n'existe pas un musée au
" Il n'existe pas un musée au monde qui n'ait pas un faux. " Conservateur du Musée Neues de Berlin sur TV Arte le 29/12/2011 http://www.reproduction-tableau-art.com
Publier un nouveau commentaire