Texte complémentaire à l'article sur le Première Période Intermédiaire 3e partie paru dans Pharaon Magazine n°16.
LES ATTESTATIONS COMTEMPORAINES (suite)
LES NOMARQUES DE HAUTE EGYPTE (suite)
Peut-être à la même époque que celle d’Ankhtyfy, Setka d’Eléphantine indiquait dans sa tombe à Qoubbet el Hawa, avoir entretenu des relations commerciales avec la maison de Khety[i] (voir Pharaon N°12). Cela confirmerait que le pouvoir hérakléopolitain existait bien avant le début de la 11e dynastie[ii], et qu’il entretenait parfois des relations pacifiques avec les nomarques, qu’il y ait eu ou non un rapport de suzeraineté réel ou théorique.
Plusieurs tombes mises à jour à Dendera appartiennent à des nomarques du 6e nome de Haute Egypte dont le classement chronologique dans la PPI est très discuté. Abihou, peut-être l’un d’entre eux, nous a laissé une stèle fausse porte (Le Caire JE 38551) où il se présente comme nomarque des 6e, 7e et 8e nomes de Haute Egypte, c'est-à-dire de Dendera à Abydos et Thinis. Abihou doit donc se situer avant que les Antef aient pris le contrôle de cette partie de la Haute Egypte, et être également chronologiquement proche d’Ankhtyfy.
Les nomarques du 15e nome de Haute Egypte, dont les tombes se trouvent à el Bersheh, sont connus par de nombreux graffiti aux carrières de Hatnoub[iii]. Ils sont également très difficiles à situer chronologiquement. En particulier l’un d’entre eux, Neheri, qui fait état de troubles auxquels il a fait face avec succès pour le bien de son nome et fait allusion à un temps de «la crainte du roi ». On aimerait savoir à quels évènements rattacher ces troubles. S’agit-il d’un épisode des guerres de réunification sous Montouhotep II ou alors de troubles au passage de la 11e à la 12e dynastie, voire même plus tard par exemple suite à l’assassinat d’Amenemhat I? La discussion a porté principalement sur des analyses paléographiques des inscriptions ; les avis sont partagés.
Toutefois, fait sans précédent en Egypte, Neheri et d’autres de ses prédécesseurs semblent dater leurs inscriptions par rapport à leur entrée en fonction et non par rapport à une année de règne d’un roi. Le roi d’une Egypte réunifiée aurait-il pu accepter cela? Nous pensons que non et donc que Neheri doit bien appartenir à la PPI. Sa description pour le moins embrouillée des troubles et de son action pour préserver son nome, ne serait-elle pas le reflet de manœuvres pour changer d’alliance. Le 15e nome était certainement dans la zone d’influence hérakléopolitaine. Il aura fallu beaucoup de sens politique à Neheri pour passer dans le camp thébain et ainsi permettre à sa lignée de rester à la tête du nome. D’ailleurs en Moyenne Egypte d’autres familles de nomarques sont restées en place sans discontinuité jusqu’au milieu de la 12e dynastie.
Ce ne fut évidemment pas le cas des nomarques du 13e nome de Haute Egypte qui étaient trop impliqués dans le camp hérakléopolitain. Les nomarques Khéty I, Itibi et Khéty II nous ont laissé des textes « biographiques » dans leur tombe à Assiout (Saouty)[iv]. Khety I décrit une situation stable mais où la vigilance est de mise. Il se dit le véritable « élève » du roi (d’Hérakléopolis). Itibi, après une description très convenue des bienfaits de son administration, relate un conflit contre une coalition des nomes du sud sans dire qui la conduisait, probablement Thèbes. Khéty II enfin, parle d’une visite du roi Merykarâ dont la flotte s’avance jusqu’à Shas-hotep à quelques kilomètres au Sud d’Assiout. A ce moment, c’est-à-dire probablement au début du règne de Montouhotep II, le domaine contrôlé par les rois hérakléopolitains ne devait guère dépasser cette limite.
Dans le 5e nome de Haute Egypte de Coptos, les nomarques Ouser et Tjaouty sont connus par des fragments de leur tombe trouvés à Khozam à l’extrême sud du nome[v]. Tous les deux se disent directeur de la Haute Egypte ; ils ont donc des prétentions qui vont bien au-delà de leur nome. Ouser se dit « fils royal » sans mentionner le nom de son père. Est-ce le même Ouser que dit avoir servi « le plus brave des braves » Fegou dans sa stèle funéraire (Strasbourg 344)[vi] provenant très probablement de Nagada, située dans le même nome mais sur la rive gauche du Nil? Tjaouty est aussi connu par une inscription rupestre dans la vallée de cAlamat, à l’ouest de Khozam. L’inscription se trouvait sur une route stratégique permettant de relier Thèbes à Abydos par le désert mais aussi de rejoindre la route des oasis. Darnell[vii] donne une transcription qui permet de comprendre que Tjaouty a ouvert une nouvelle route pour contrer un adversaire qui avait bloqué la route habituelle.
Il est bien difficile de situer chronologiquement Ouser et Tjaouty, même de déterminer leur ordre de succession et de savoir qui était leur ennemi. Nous sommes tentés de suivre Fischer[viii] qui émet l’hypothèse raisonnable que Thèbes était cet ennemi. En effet, non loin de l’inscription de Tjaouty se trouve une autre inscription que Darnell a traduit « les troupes d’assaut du fils de Râ Antef ». Il faut l’œil entrainé d’un épigraphiste expérimenté pour lire cela, mais « fils de Râ Antef » dans un cartouche semble assuré. Tout cela donne l’impression que la maitrise des routes du désert fut à ce moment un enjeu stratégique dans la lutte entre Thèbes et ses adversaires, qui a évidemment tourné finalement à l’avantage des thébains.
A Nagada, plusieurs personnages sont connus par des stèles funéraires de style comparable. Ce sont certainement des guerriers, car ils sont souvent représentés un arc en main. L’un d’eux (Chicago OI 12105)[ix] dit avoir été envoyé par le directeur des prêtres Djefi pour relever la ville voisine Youshenshen (Khozam ou un lieu voisin) de ses ruines. Nous sommes donc toujours dans cette période de guerre civile que l’on peut situer au moment où le nomarque Antef de Thèbes ou l’un des tous premiers rois de la 11e dynastie commence à étendre son domaine.
Une autre stèle (Strasbourg 345 + Florence 7595), quoique d’un style comparable semble elle venir de Thèbes[x]. Elle a été réalisée par un « général » Antef qui fait état de la mission que lui a confiée le grand supérieur de Haute Egypte Antef. Ce nom propre très courant est en effet certainement thébain d’origine. Selon Fischer, la mission du général était de représenter son maître le nomarque à une réunion avec d’autres nomarques ?
Un Antef portant le titre de Iry-pât (iry-pat) que l’on peut traduire par «noble ou prince » est célébré à Karnak dans la chapelle des ancêtres de Thoutmosis III (Louvre E13481bis) et par une statue (Le Caire CG 42005) érigée par Sésostris Ier. On peine à identifier les monuments contemporains en relation avec ce personnage qui était pourtant considéré comme l’ancêtre de la 11e dynastie. Deux thébains, un certain Maât (MMA 14.2.7)[xi], et l’Antef de la stèle de Strasbourg citée plus haut disent avoir servi un Antef dont les titres font penser qu’il s’agit du nomarque.
La stèle Le Caire 2009[xii] est par contre certainement un monument réalisé pour le nomarque Antef lui-même. L’inscription assez brève donne tous les titres que l’on peut attendre d’un nomarque de sa stature, notamment celui de « grand supérieur » de Thèbes. Ces titres sont complétés par ce qu’on pourrait traduire : « celui qui remplit le cœur du roi dans l’ouverture de la porte du sud ». Ces qualificatifs que l’on rencontre déjà dans la stèle funéraire de Tjaouty à Khozam semblent bien faire référence à un roi qui ne peut être alors qu’un des rois hérakléopolitains. Malgré leur grande indépendance, ces nomarques continuaient-ils donc à reconnaître la légitimité des rois hérakléopolitains, au moins dans certains domaines ? Ou alors était-ce simplement par recopie d’une phraséologie ancienne? L’« ouverture de la porte du sud » est certainement un terme géographique en rapport avec les fortifications de la frontière sud de l’Egypte à Eléphantine.
Un débris d’inscription trouvé à Dendera[xiii] mentionne un grand supérieur de Haute Egypte Antef le grand qui pourrait bien être également notre nomarque. On ne sait rien de l’action du nomarque Antef, mais par pure hypothèse on peut rapprocher les titres de l’Antef de la stèle 2009 avec ceux de Tjaouty à Khozam pour entrevoir une rivalité entre Thèbes et Coptos.[xiv]
Beaucoup d’autres personnages de Haute Egypte pourraient être cités; la documentation est finalement assez riche mais ne relate aucun fait précis. Les thèmes du « bon administrateur » ainsi que celui de fourniture alimentaire pour éviter la famine reviennent souvent. Parfois, des détails nous paraissent trop précis pour ne pas être le reflet d’une certaine réalité comme par exemple dans l’inscription d’Iti (Le Caire 2001) qui dit approvisionner Ioumitrou, un lieu proche de Gebelein mais aussi Mocalla, et Armant[xv] à une époque où Thèbes semble déjà contrôler tout le sud.
[i] Le terme de maison de Khety qui semble faire référence à la dynastie hérakléopolitaine est aussi utilisé dans la stèle thébaine de Djari et un fragment d’incription provenant probablement de Thèbes à l’époque du roi Antef II, cf Fischer, JEA 61
[ii] S.Seidlmayer dans Ancient Egyptian Chronology p.166, 2006
[iii] R.Anthes, Felseninschriften von Hatnub, Untersuchungen zur Geshichte und Alterumskunde Aegyptens Band 9, 1928, disponible sur internet.
[iv] Schenkel, Memphis- Hérakléopolis- Theben, Harrassowitz 1965, §55 à 66; H.Brunner, Die Texte aus den Gräbern der herakleopolitenzeit von Siut, 1937.
[v] H.G Fischer, Inscriptions from the Coptite Nome Analecta Orientalia 40, 1964
[vi] Ibid.
[vii] J.C.Darnell, The Theban Desert Route Survey Vol I, OIP 119 Chicago 2002,disponible sur internet
[viii] H.G Fischer, op.cit.
[ix] H.G Fischer, op.cit.
[x] H.G.Fischer, Egyptian Studies III, Varia Nova, MMA 1996 ; JJ. Clère J. Vandier, Textes de la Première Période Intermédiaire, 1948, §11 pour Strasbourg 345 seulement, disponible sur internet.
[xi] Schenkel, op.cit., §79 ; JJ. Clère J. Vandier, op.cit. §14. La stèle est visible sur le site du Metropolitan Museum of Art New York. Tapez 14.2.7 dans le moteur de recherche du site MMA.
[xii] Schenkel, op.cit., §43 ; JJ. Clère J. Vandier, op.cit. §13 ; Egypte, Afrique et Orient N° 18 p. 42 et 43, 2000
[xiii] Daressy ASAE 18 p.186 disponible sur Internet ; Schenkel, op.cit., §46
[xiv] H.G Fischer, Inscriptions from the Coptite Nome Analecta Orientalia 40, 1964.
[xv] Schenkel, op.cit, §39.
Commentaires
Merci pour ces belles
Merci pour ces belles précisions François!
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Amicalement,
Etienne Rémy.
Première Péride Intermédiaire
Je vous remercie pour les compliments, car je suis l'auteur de ce complément d'information qui, en fait, faisait partie de mon article sur la Première Période Intermédiaire.
Cordialement.
Michel Brandt